1924 – Un essai d’internat industriel à La Terrasse-sur-Dorlay

Présentation : Le texte suivant est extrait d’un rapport rédigé par l’inspectrice départementale du travail en résidence à Lyon, Marguerite Borrély[1], daté du 8 août 1924, et consacré au phénomène des internats industriels (ou usines-couvents) de la grande région lyonnaise (archives nationales, F22/558, dossier n°15, Note sur les internats industriels par Mme Borrély, inspectrice départementale du travail à Lyon, transmis à l’inspection générale du travail le 28 janvier 1925). Cette note constitue un « travail original », proposé pour publication au sein du Bulletin de l’inspection du travail. Charles Picquenard, directeur du Travail, décline la proposition.

Le texte décrit un essai d’internat industriel, mené en 1924 par la société d’origine lyonnaise Bouffier & Pravaz fils. Cette entreprise est, depuis 1921, la propriétaire de l’usine longtemps dirigée par Albin Planchon, qui fut également le premier maire de La Terrasse-sur-Dorlay (commune érigée en 1905)[2]. La date peut apparaître tardive, puisque les premières initiatives de ce type remontent généralement au milieu du XIXe siècle : Claude-Joseph Bonnet, à Jujurieux (Ain) en 1835 ; Jean-Baptiste Martin, à Tarare (Rhône) en 1836 ; Victor Colcombet, à La Séauve-sur-Semène (Haute-Loire) en 1853, etc. Ces implantations en zone rurale déclinent au cours de la première moitié du XXe siècle, sans disparaître toutefois.

L’intégralité de ce document numérisé peut être consultée sur le site internet des archives nationales : https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/UD/FRAN_IR_050808/c-2447up312–w8lbu3qvuq8n

 

La pension d’ouvrières de la Terrasse-sur-Dorlay (Loire).

Bien que s’écartant moins des chemins battus de l’Internat Industriel, l’organisation des Établissements Bouffier, Tissages de Soieries, à la Terrasse-sur-Dorlay (Loire), a le mérite d’essayer de réaliser ce qu’aucune Maison française de la Région n’avait tenté jusqu’à ce jour : l’apprentissage des Pupilles de la Nation, réunies en une Pension de famille.

Dans un site agréable de la Vallée du Dorlay, dominée par le Pilat, à 400 m. d’altitude, s’élève, dans un enclos ombragé, non loin des bâtiments d’Usine, une villa, transformée en Pension de famille à l’usage des ouvrières. La villa pourra abriter 50 pensionnaires, elle n’en loge actuellement que 7, dont 6 Pupilles de la Nation, apprenties de 13 à 18 ans. Elle est à ses débuts.

Le bâtiment a 3 étages. Au rez-de-chaussée, le lavoir où les ouvrières viennent faire leur lessive le Samedi, jour de repos ; la chaudière pour le chauffage à l’eau chaude de tout l’établissement, la cuisine et le réfectoire flanqué de larges baies vitrées donnant sur le jardin. Les ouvrières s’y groupent par petites tables de 4 à 6 couverts. C’est le Self-Service, c’est-à-dire qu’au début du repas, chaque ouvrière, passant devant un long dressoir, y reçoit, sur un plateau : couvert, pain, viande, légumes, dessert, un quart de vin pour la journée et s’installe à sa table.

Dans un coin du réfectoire, un placard est mis à la disposition des ouvrières pour leurs provisions personnelles.

Le 1er étage comprend des chambres de 1, 2 et 4 lits, donnant, d’un côté, sur une galerie intérieure et de l’autre sur une vaste terrasse. Tous les planchers sont parquetés, tous les murs peints à l’huile. À l’entrée du corridor, un débarras sert d’entrepôt pour les coffres ou cartons des ouvrières et les ustensiles de ménage. En face, une infirmerie comprend 2 lits et une cabine de bains. À chaque extrémité du couloir, un lavabo avec W.C. à chasse.

Les chambres sont toutes munies d’un placard pour chaque ouvrière et d’une table pour deux. Chaque ouvrière fait son lit et sa chambre.

Au 2ème étage, les salons fort luxueux et la galerie, ornée de vitraux et de panneaux décoratifs, des anciens propriétaires, ont été conservés. Ils forment le logement personnel de l’intendante et une vaste salle de récréation, munie de petites tables, fauteuils de toile, magazines, revues, gramophone. Derrière, donnant sur la terrasse, quelques chambres.

Au 3ème, un dortoir de 6 lits pour les plus jeunes et quelques chambres ; deux salles de bains, une lingerie et une chambre de bonne.

La pension a à sa tête une intendante qui assume, à la fois, la direction morale et matérielle de l’organisation. C’est à elle que les pensionnaires versent, chaque quinzaine, le montant de leur pension (4 frs par jour). C’est elle qui se charge de verser à la Caisse d’Épargne les économies que les enfants veulent bien lui confier. C’est elle qui donne les autorisations de sorties, plus ou moins larges selon l’âge et le sérieux des jeunes filles, mais qui ne dépassent jamais 7 h. 1/2 du soir.

Il faut souhaiter bonne réussite à cet effort tenté par les Établissements Bouffier pour s’assurer un personnel et le retenir par l’agrément d’une vie saine, où la liberté et la discipline, le travail et le loisir se combinent heureusement.

 

[1] Contrairement à l’inspection masculine, qui relève d’un inspecteur départemental à plein temps pour le département de la Loire, il n’existe alors pour toute la circonscription de Lyon que deux inspectrices. Cf. Sylvie Schweitzer,  Les inspectrices du travail, 1878-1974. Le genre de la fonction publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

[2] Marc Bonneville, « Château Planchon La Terrasse-sur-Dorlay », site Châteaux et maisons de maître dans la région de Saint-Étienne, non daté (url : https://bonneville.ccolonna.net/fichiers/planchon.pdf, consulté le 2 décembre 2021).

 

Usine Bouffier & Pravaz et Château Planchon, au lieu-dit Le Moulin-Payre, commune de La Terrasse-sur-Dorlay, sd. (collection particulière).

 

Pour approfondir (sur les internats industriels et les ouvrières du textile) :

  • Elinor Accampo, Industrialization, Family Life, and Class Relations. Saint-Chamond, 1815-1914, Berkeley, University of California Press, 1989 (visible en ligne : https://publishing.cdlib.org/ucpressebooks/view?docId=ft8f59p261;brand=ucpress)
  • Mikaël Duarte, Les corps perdus. Une histoire des corps de la région stéphanoise de la fin du XVIIIe siècle aux années 1920, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2021.
  • Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, Parcours de femmes : réalités et représentations. Saint-Étienne, 1880-1950, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1993 (visible en ligne : https://books.openedition.org/pul/16632).
  • Gabriel Mas, « Internat et travail chrétien au milieu du XIXe siècle », dans Bernard Delpal et Olivier Faure (dir.), Religion et enfermements (XVIIe-XXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 93-109 (visible en ligne : https://books.openedition.org/pur/20389).

 

Nous remercions Luce Chazalon et Michel Farat, qui ont contribué à l’illustration de cet article.

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