1930 – Quand les communistes stéphanois brocardaient une « bande de tripoteurs »…

La découverte d’une feuille de propagande, au hasard d’un riche carton d’archives, permet à la fois de présenter une source récurrente de l’histoire du communisme français, et d’évoquer un événement majeur mais oublié de l’histoire politique stéphanoise au XXème siècle.

L’analyse démarre par la lecture de la manchette. Trois personnes caricaturées : au centre, le président du conseil André Tardieu, entouré du député de la deuxième circonscription de Saint-Étienne et ancien ministre Antoine Durafour, et du sénateur-maire de Saint-Étienne Louis Soulié. Un titre éloquent : « Les travailleurs balayeront toute cette bande de Tripoteurs ». Quelques informations légales précèdent les trois articles de la feuille, dont le premier est intitulé « À bas les tripoteurs… ».

 

« Les travailleurs balayeront toute cette bande de tripoteurs », feuille de propagande éditée par la cellule communiste de l’usine Automoto de Saint-Étienne, imprimée par le rayon communiste de Saint-Étienne, secrétaire Léonce Granjon, au Café coopératif (9 cours Victor Hugo), juillet 1930 (Archives municipales de Saint-Étienne, 10 M 11).

 

Une feuille de propagande communiste

Le document, composé de deux pages recto-verso, constitue une « feuille de propagande » éditée par la « cellule AUTOMOTO ». L’usine située avenue de Rochetaillée, dans le quartier stéphanois de La Rivière, appartient à la Société nouvelle de constructions mécaniques de la Loire Automoto. Elle est spécialisée dans la fabrication de cycles, de motocycles et de pièces détachées. Il s’agit d’un des plus grands établissements de cette industrie fortement développée dans l’agglomération stéphanoise, avec ses rivales Mimard (Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Étienne, future Manufrance), Ravat ou Mercier[1].

Le personnel ouvrier d’Automoto se compose notamment de militants syndicaux, principalement adhérents de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU)[2]. Une majeure partie de ces travailleurs syndiqués est encartée en même temps au Parti communiste – Section française de l’Internationale communiste (PC-SFIC).

Dans le cadre des directives imposées lors du Cinquième Congrès de l’Internationale communiste, en juin-juillet 1924, le PC-SFIC procède non seulement à l’ouvriérisation de ses structures et de ses cadres – qui écarte des responsabilités des militants exerçant un métier intellectuel ou une profession libérale –, mais il tente également de subordonner l’activité syndicale à l’organisation politique[3]. La consigne passe difficilement dans un syndicalisme français attaché, au moins depuis la Charte d’Amiens, à l’autonomie syndicale vis-à-vis du champ politique.

La CGTU, constituée officiellement lors du congrès tenu à Saint-Étienne, du 25 juin au 1er juillet 1922, choisit d’adhérer à l’Internationale syndicaliste rouge, créée l’année précédente. La bolchevisation, rampante dès 1923, attise les tensions entre syndicalistes révolutionnaires et militants communistes. Elle aboutit rapidement à une mainmise des seconds sur la confédération.

Dès lors, le brouillage se révèle permanent entre parti et syndicat. Ce cadre favorise le développement de cellules communistes au sein des usines. Celles-ci promeuvent, dans une forme de clandestinité, le programme politique du PC-SFIC auprès des travailleurs. Les militants communistes sont ainsi appelés à créer et à animer des cellules dans les principaux établissements industriels, tout en s’engageant au sein des sections syndicales ou aux syndicats professionnels affiliés à la CGTU.

Cette feuille de propagande est éditée sans grands moyens, comme beaucoup d’autres publiées durant l’entre-deux-guerres. Elle provient sans doute des ronéotypeuses de la Bourse du travail, située en face du Café coopératif, 9 cours Victor Hugo, alors centre névralgique du communisme stéphanois. Cette proximité est stratégique en raison des rapports étroits entre le parti et les syndicats unitaires.

Léonce Granjon (1904-1967) est, au début de l’année 1930, le secrétaire permanent du rayon de Saint-Étienne du PC-SFIC[4]. C’est à ce titre, sans doute, qu’il est indiqué comme imprimeur de la feuille. Cette mention est imposée par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 instaurant la liberté de la presse.

 

Extrait de la première page du Cri du Peuple, 14 juin 1930, et première page d’un programme du Sporting Club Ouvrier pour la fête du 18 novembre 1928 (Archives nationales, F7/13137).

 

La typographie parfois défaillante de cette feuille, rédigée à la machine à écrire avant de passer à la ronéo, ajoute à un standard éditorial moins exigeant que celui des journaux publiés par le PC ou ses rayons, ou même de dépliants dédiés aux événements festifs organisés par le mouvement communiste et ses relais[5].

Les manchettes des feuilles, qu’elles soient publiées par des cellules d’usines ou de quartiers, présentent généralement un dessin de qualité médiocre, représentatif de l’activité ou du paysage. Ces illustrations, signifiantes politiquement, mériteraient une étude systématique.

Dans une organisation hiérarchisée comme le PC, les feuilles relaient des textes et des mots d’ordre produits par les strates supérieures – comité central, régions, peut-être rayons. D’une cellule à l’autre, le choix des articles et leur contenu ne diffèrent sans doute qu’à la marge, en fonction de l’actualité propre à l’usine ou au quartier.

 

L’Exploité, journal édité par la cellule communiste de l’usine Mimard (Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Étienne), 1929 (Archives nationales, F7/13116).

 

Dessins de presse et caricatures

La figuration de personnes identifiables s’avère ainsi exceptionnelle. La feuille de la cellule Automoto constitue une occurrence remarquable. Il ne s’agit plus d’une illustration stricto sensu, mais de véritables dessins de presse. Les progrès de la similigravure permettent certes l’insertion de photographies dans des périodiques depuis la fin du XIXème siècle[6]. Pour des questions éditoriales et financières, le recours à la lithogravure ou à la gravure sur bois demeure prépondérant dans la presse française des années 1920.

Dans des médias aussi précaires que les feuilles imprimées par les organisations communistes, le dessin conserve une fonction importante, d’autant plus lorsque le trait s’écarte de la représentation fidèle des personnes. La caricature constitue ainsi un élément essentiel de la presse d’opinion, notamment de gauche[7]. Ce travail journalistique requiert cependant des dessinateurs capables.

Si les dessins politiques sont occasionnels dans les grands titres de la presse stéphanoise de l’entre-deux-guerres, les caricatures politiques s’avèrent plus rares. Le vivier potentiel d’illustrateurs installés dans la région stéphanoise est incertain. Les journaux peuvent néanmoins bénéficier de l’art de dessinateurs installés dans d’autres localités, Paris en tête.

Le Cri du Peuple, hebdomadaire communiste diffusé en région stéphanoise, donne ici un exemple éclairant[8]. Dans un numéro paru en juillet 1930, Antoine Durafour et Louis Soulié sont associés dans un même dessin. Malgré quelques exagérations quant aux traits de leur visage, le style tient plus de la représentation réaliste que de la caricature cinglante. Reste à connaître l’auteur de ces images.

La signature semble identifier le dessinateur de presse Raoul Cabrol (1895-1956), contributeur fréquent de la presse communiste de l’entre-deux-guerres[9]. S’agit-il d’un travail de commande pour le rayon communiste de Saint-Étienne, ou bien de dessins préalablement réalisés, pour L’Humanité par exemple, les deux intéressés étant parlementaires de longue date – et ancien ministre en ce qui concerne Durafour ? Seule une consultation systématique du quotidien fondé par Jean Jaurès apporterait une réponse définitive.

 

Caricature d’Antoine Durafour et Louis Soulié, publiée en première page du Cri du Peuple, 12 juillet 1930.

 

La feuille publiée par la cellule de l’usine Automoto reprend la représentation du sénateur-maire de Saint-Étienne. L’image utilisée pour Durafour est notoirement différente, s’inspirant d’une autre caricature de Cabrol. Une moindre maîtrise du trait indique que les dessins originaux ont été copiés pour l’occasion, et non reproduits par ronéotype. En l’absence de toute signature, l’auteur stéphanois de ces dessins demeure anonyme[10].

La mention du nom des intéressés laisse supposer qu’une partie non négligeable de la main-d’œuvre de l’usine Automoto ne connaitrait pas le visage de ces deux hommes. Ceux-ci sont pourtant incontournables à Saint-Étienne, et leur succès politique tient particulièrement à leurs engagements municipaux et parlementaires en faveur de la classe ouvrière. Peut-être, alors, faut-il y voir un moyen de remédier à la fidélité incertaine du trait…

 

Antoine Durafour, député, ancien ministre, au congrès radical-socialiste de Reims, photographie de l’Agence Meurisse, 1929 (collection Bibliothèque nationale de France – Gallica).

Caricature d’Antoine Durafour, dessin de Raoul Cabrol, publié en première page du Cri du Peuple le 19 juillet 1930.

 

La manchette de la feuille de propagande figure en son centre André Tardieu (1876-1945). Il s’agit d’une personnalité majeure de la Troisième République[11]. Homme politique modéré, de tendance libérale, député depuis 1914 – avec une interruption de deux ans entre 1924 et 1926 –, cet ancien diplomate et journaliste enchaîne différentes responsabilités ministérielles. Il cumule la présidence du Conseil et le poste de ministre de l’Intérieur à partir de novembre 1929, à la tête d’un gouvernement de coalition allant du centre-gauche (républicains-socialistes proches d’Aristide Briand, radicaux dissidents) au centre-droit (radicaux indépendants, Parti démocrate populaire) et à la droite (Alliance démocratique, Fédération républicaine)[12].

Le surnom péjoratif de « requin », mentionné dans le dessin, est récurrent dans les attaques de la gauche, communiste comme socialiste, contre Tardieu. Ce dernier, alors journaliste au Temps, a joué un rôle dans différents scandales financiers survenus avant la Première Guerre mondiale. Le qualificatif permet ainsi de le ramener à ces affaires, certes lointaines, mais aussi de l’associer au climat délétère de la scène politique de l’entre-deux-guerres[13]. Que Le Cri du Peuple l’affuble de ce sobriquet n’est alors pas surprenant.

 

Caricature d’André Tardieu, par Raoul Cabrol, publiée en première page du Cri du Peuple, 22 février 1930.

Portrait d’André Tardieu (photogravure) reproduit en une du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 13 juillet 1930 (Gallica).

 

Si, dans les pages du Cri, le profil dessiné de Tardieu peut présenter l’apparence d’un squale, d’autres caricatures de Cabrol figurent chapeau et porte-cigarettes, tout en conservant ses dents apparentes, potentiellement carnassières, à peine recouvertes par une lèvre inférieure proéminente. Le Mémorial, journal conservateur, choisit, quant à lui, une représentation réaliste, à savoir une photogravure flatteuse mais datée, lorsqu’il s’agit d’évoquer sa venue à Montbrison à l’occasion d’un congrès fédéral des poilus de la Loire.

Tardieu, figure de l’Alliance démocratique, leader d’un gouvernement dont le point d’équilibre est au centre-droit, incarne également dans la feuille communiste deux personnalités stéphanoises[14]. Jean Neyret (1855-1942) est l’ancien maire progressiste-libéral de Saint-Étienne (juin 1908-juin 1909 puis décembre 1910-décembre 1919). Jean Taurines (1884-1958), invalide de guerre, est alors député de la Loire. Élu sur une liste départementale de l’Entente républicaine démocratique en 1919, il est battu en 1924. Taurines profite ensuite du rétablissement du scrutin uninominal pour s’imposer en 1928 dans la troisième circonscription de l’arrondissement de Saint-Étienne.

Neyret et Taurines sont deux personnalités inscrites à la droite de l’échiquier politique stéphanois. Ils sont dénoncés comme réactionnaires par la gauche et le centre-gauche – Neyret est aussi perçu comme clérical par ses contempteurs. Le camp communiste s’oppose ainsi à eux, autant qu’à Soulié et Durafour, dans la perspective des élections municipales convoquées à Saint-Étienne pour les dimanches 20 et 27 juillet 1930.

 

Jean Neyret, maire de Saint-Étienne, photographie de Cl. Truchard, extrait de la revue Forez Auvergne Vivarais, 3e année, n°37, 1er juillet 1908 (Médiathèque municipale de Saint-Étienne).

Jean Taurines, député de la Loire, photographie de l’Agence Meurisse, Paris, 1929 (collection Bibliothèque nationale de France – Gallica)

 

Une scène politique stéphanoise en ébullition

Il est temps désormais d’exposer l’affaire qui motive cette dénonciation. La vie politique stéphanoise est touchée, au premier semestre 1930, par un scandale politico-médiatique, connu sous différentes appellations – « affaire des terrains d’aviation », « scandale de l’aviation », « complot de la Chaléassière », etc. – en fonction des acteurs et des intérêts défendus. Si sa véritable dimension financière demeure mystérieuse, plus de 90 ans après, ses conséquences électorales sont extraordinaires[15].

Leader du bloc radical et socialiste stéphanois à la sortie de la guerre, Durafour a pourtant laissé à son allié Soulié la conduite des affaires municipales à l’issue des élections de décembre 1919. Le premier, réélu député, rêve alors d’un destin ministériel, quand le second se contente, en quelque sorte, d’ajouter en janvier 1920 un mandat de sénateur à celui de maire[16].

 

Louis Soulié, photographie de l’Agence Rol, 27 novembre 1925 (collection de la Bibliothèque nationale de France – Gallica).

 

L’excellente entente se confirme au cours de la décennie suivante, les deux hommes figurant sur la même liste lors des élections municipales de mai 1929. Les divergences politiques, faibles au départ entre le radical-socialiste et le républicain-socialiste, finissent pourtant par s’affirmer.

Simple conseiller municipal, Durafour se révèle plus soucieux des finances publiques que Soulié, héritier d’un socialisme municipal ambitieux en matière d’équipements collectifs. La rupture point à l’occasion d’un débat houleux portant sur le financement de la reconstruction du théâtre municipal, incendié en 1928.

L’affaire de l’aviation survient dans ce contexte local. Au niveau national, l’expérience de la Première Guerre mondiale encourage l’État à envisager d’importantes opérations de décentralisation industrielle, afin d’éloigner de la frontière allemande les principaux fournisseurs des armées.

Des terrains situés dans le quartier de la Chaléassière, d’une superficie d’environ 26 hectares, appartenant à la société Leflaive & Cie alors en liquidation, sont l’objet d’une promesse de vente au bénéfice de la ville de Saint-Étienne[17]. Une cession de cette option d’achat au profit de la société de construction aéronautique Gnome & Rhône, est approuvée par délibération du conseil municipal le 25 mars 1929, sans l’assentiment de l’entreprise venderesse.

Avec l’accord du maire, Gnome & Rhône cède l’option d’achat, à quelques jours de son expiration, à une nouvelle société baptisée Astral. Celle-ci est constituée le 26 juin 1929, à Paris, par trois associés : l’administrateur-délégué de Gnome & Rhône, Paul-Louis Weiller (1893-1993), et deux banquiers, Henry Bauer (1865-1950) et Charles Marchal (1882-1975), alors gérants, entre autres, de la Banque privée. Leur groupe contrôle notamment Gnome & Rhône depuis 1921[18].

 

Paul-Louis Weiller, administrateur-délégué de la société anonyme des moteurs Gnome & Rhône, photographie de l’Agence Meurisse, 1929 (collection Bibliothèque nationale de France – Gallica)

 

Astral, de fait filiale de Gnome & Rhône, lève ainsi l’option d’achat. La valeur des terrains est fixée à 11 francs le mètre carré. Ce montant relativement faible, accordé au bénéfice de la municipalité, motive sans doute la colère des créanciers, actionnaires et porteurs d’obligations de Leflaive & Cie, majoritairement stéphanois, particulièrement lésés depuis la mise en liquidation de la société. Ceux-ci réclament une réévaluation du montant de la vente à 40 francs le mètre carré.

L’implantation d’une usine de construction aéronautique apparaît aussi comme une déstabilisation possible pour l’industrie locale quant au coût de la main-d’œuvre ouvrière. L’hostilité d’une partie des élites économiques stéphanoises, libérale et catholique, vis-à-vis d’un maire socialisant et franc-maçon, et dont le beau-frère et principal associé, Alphonse Gintzburger (1873-1939), est un homme d’affaires de confession juive, ajoute à la complexité de la situation.

Les conditions juridiques de la cession de la clause d’achat permettent à ce groupe d’intérêts de mettre en doute la validité de cette transaction. En février 1930, commence une campagne d’envergure, d’abord médiatique, contre Louis Soulié, accusé de s’être entendu non seulement avec les actionnaires d’Astral, mais aussi avec le ministre de l’Air et député radical indépendant de la Haute-Loire, Laurent Eynac (1886-1970)[19].

 

Caricature de Laurent Eynac, dessin de Raoul Cabrol, publié en première page du Cri du Peuple, 19 juillet 1930.

 

Face à la tempête annoncée, et vraisemblablement de bonne foi pour une partie d’entre eux, une douzaine de conseillers municipaux, Durafour en tête, rompent violemment avec Soulié. L’ancien ministre remet sa démission au préfet Pierre Génébrier (1870-1950) dès le 21 février 1930 – celle-ci, comme d’autres, ne sera pas acceptée[20]. Il argue du caractère illégal de la cession décidée par le maire sans l’aval de son conseil.

Les réunions des comités républicains et socialistes deviennent houleuses entre partisans des uns et des autres. Aucun élément ne prouve que le maire de Saint-Étienne aurait pu s’enrichir dans cette affaire, mais la rumeur s’enracine[21]. Les articles de journaux, brochures et autres affiches ne s’embarrassent pas de la véracité des faits. Tout est permis dans ce qui est avant tout une guerre politique et médiatique.

 

Couverture et première page de la brochure d’Antoine Durafour, Les raisons d’une démission. La vérité sur une affaire d’aviation à Saint-Étienne (Saint-Étienne, Imprimerie nouvelle, 1930).

 

Aucune réunion du conseil municipal ne peut se tenir entre le 22 février et le 29 mai. Cette dernière est marquée par d’importants incidents de séance, provoqués non seulement par les échanges tumultueux entre les alliés d’hier, mais aussi par l’irruption de militants des Jeunesses communistes et des Jeunesses patriotes[22]. Encore soutenu par une majorité de conseillers municipaux, Soulié maintient momentanément sa position.

L’affaire remonte néanmoins jusqu’au parlement, où les deux hommes poursuivent leur confrontation par hémicycle interposé. À la suite de débats houleux à la tribune du Sénat, marqués par une intervention retentissante de Tardieu, Soulié remet sa démission de maire le 11 juin 1930. Il tente ainsi d’éviter la dissolution du conseil municipal.

L’édile n’espère sans doute plus, comme en mai 1921, recouvrer sa légitimité en étant réélu par l’assemblée communale. Il propose à son premier adjoint Alfred Vernay (1877-1950) de le remplacer. Ce dernier décline, signe annonciateur d’une rupture entre les deux hommes[23].

Durafour et ses alliés privilégient la démission de cinq conseillers municipaux de chaque camp, qui permettrait aux électeurs stéphanois de trancher lors d’élections partielles. La négociation ne peut aboutir. Le gouvernement, dirigé par Tardieu, ne leur en laisse pas l’opportunité.

L’ensemble du conseil est dissous par décret présidentiel du 14 juin 1930, au motif des troubles occasionnés dans la conduite des affaires municipales. Une délégation spéciale est nommée, afin de gérer les affaires courantes jusqu’aux élections fixées pour la fin du mois de juillet suivant[24].

Dès lors, chaque camp débat de la stratégie à tenir, des opportunités d’alliance et du choix des candidats. Malgré quelques médiations, aucun accord n’est possible entre Durafour et Soulié. Le Bloc républicain et socialiste se fissure définitivement en deux tendances rivales.

 

Le rôle essentiel de la presse

Dans ce contexte houleux, le verbe entretient naturellement la controverse. Les réunions publiques sont perturbées par des contradicteurs, souvent socialistes ou communistes, ainsi que par des protestations sonores. Des chansons satiriques, calquées sur des airs populaires, brocardent l’adversaire. Sans surprise, les tracts se révèlent agressifs. La presse tient néanmoins un rôle primordial dans l’opposition féroce entre les différentes parties.

 

Tract électoral distribué par les soutiens d’Antoine Durafour, imprimerie E. Bringuier (à gauche) et affiche hostile à Durafour, attribuée sans preuve à « un groupe de mineurs syndiqués », imprimée par La Tribune républicaine (à droite), propagande destinée à l’électorat des mineurs de charbon, juillet 1930 (Archives départementales de la Loire, 3 M 528).

 

La charge menée contre Soulié ne provient évidemment pas de La Tribune républicaine, que le sénateur-maire a fondée et dirige depuis 1899 avec son beau-frère Gintzburger[25]. Son concurrent La Loire républicaine, alors de tendance radicale indépendante, se montre prudent dans le suivi des événements jusqu’au déclenchement de la campagne électorale. Il prend timidement le parti de Soulié contre Durafour.

La fronde contre le maire de Saint-Étienne est ainsi lancée dès février 1930 dans les colonnes de deux quotidiens conservateurs : Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, dont la ligne libérale parle aux élites économiques, et l’édition stéphanoise du Nouvelliste de Lyon, titre alors rival du Progrès de Lyon, et plus clérical que son homologue stéphanois.

Un troisième journal, l’édition régionale de l’hebdomadaire communiste Le Cri du Peuple, critique autant Soulié que Durafour, tous deux représentants des politiciens « tripoteurs ». Depuis 1922, les communistes stéphanois se situent dans l’opposition municipale. Leurs anciens alliés incarnent, dans la ligne « classe contre classe » dictée par l’Union soviétique, les symboles d’une classe politique affairiste, vendue aux intérêts capitalistes.

Soucieux de répondre à son rival Soulié sur le terrain médiatique, Durafour parvient à fonder un hebdomadaire, baptisé La République de la Loire. Le premier numéro paraît le 12 avril 1930. Co-propriétaire du titre avec son beau-frère Benjamin Gaillard (1905-1973), Durafour en est officiellement directeur politique[26]. Paul Bouvet, conseiller municipal, est nommé gérant.

 

La Une du premier numéro de l’hebdomadaire La République de la Loire, 12 avril 1930.

 

La publication d’un journal est particulièrement coûteuse. Soulié et La Tribune républicaine attaquent régulièrement Durafour sur le financement de cette opération. Il est aisé d’imaginer un soutien, réel ou fantasmé, du Mémorial ou du Nouvelliste à l’initiative. À en croire les partisans de l’ancien ministre, celui-ci refuse toute aide financière de la part des intérêts stéphanois hostiles à son rival. Il est possible que la fortune personnelle de Gaillard suffise à couvrir les frais. Quoi qu’il en soit, La République de la Loire sort des rotatives de la société coopérative L’Imprimerie nouvelle, contre paiement[27].

Durafour, membre du très laïciste parti radical, est violemment accusé de faire le jeu de la réaction par La Tribune républicaine et par deux journaux éphémères, financés par Soulié et Gintzburger, intitulés La Défense (deux numéros) et Vérités (un numéro).

 

Antoine Durafour devenu calotin, puis enfant de chœur (dessins de Phi, La Défense, 19 juillet 1930)

 

Une lecture attentive du Mémorial et du Nouvelliste montre que ces deux titres ont plus attaqué Soulié qu’ils n’ont véritablement défendu Durafour, dont le silence initial est parfois rappelé. Ces articles, comme les affiches imprimées par le camp de Durafour, présentent souvent un caractère antisémite, visant autant Gintzburger que Soulié. Ces propos racistes, alors légaux, se révèlent fréquents dans la presse française de l’entre-deux-guerres.

À l’opposé, l’outrance des attaques de La Tribune contre « l’enfant de Chavanelle » met en doute leur crédibilité. En particulier, l’alliance présumée entre Durafour et Taurines, affichée à maintes reprises par le journal de Soulié, ne se concrétise pas. Le député de la Loire, candidat malheureux à la tête d’une liste de concentration sociale et démocratique en 1929, ne mène d’ailleurs pas la liste unie de la droite en vue de ce scrutin anticipé[28]. L’ancien maire Jean Neyret, vaincu en 1919 et 1925 par la liste du bloc républicain et socialiste, accepte, à près de 75 ans, de relever une nouvelle fois le gant[29].

Cette liste de concorde républicaine est évidemment soutenue par Le Mémorial. Dans cette perspective, le quotidien conservateur publie exceptionnellement deux planches humoristiques, à la veille du premier tour des élections. Les dessins sont affublés de textes relatifs à la campagne électorale. L’ancienne majorité municipale se trouve ainsi brocardée sans qu’il ne soit question de caricaturer les intéressés.

 

Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 juillet 1930 (Gallica).

 

Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 20 juillet 1930 (Gallica).

 

Épilogue

La dissolution du conseil municipal ne vaut évidemment pas condamnation en justice, mais son effet médiatique est désastreux pour Soulié. L’affaire de l’aviation en elle-même ne connaît aucune suite judiciaire. Seules des plaintes pour diffamation sont intentées par l’administrateur-délégué des sociétés Gnome & Rhône et Astral aux dirigeants des journaux attaquant les conditions de vente des terrains, ainsi qu’aux conseillers municipaux liés à Durafour. Les procédures, instruites en juillet 1930, en même temps que la campagne électorale, s’achèvent aux dépens du plaignant[30].

Le premier tour de ces élections municipales est organisé le 20 juillet. Jean Neyret obtient 10 878 voix – l’ensemble de la liste de Concorde républicaine dépasse les 10 050 voix. La liste de Redressement municipal et de salubrité publique dirigée par Durafour remporte 10 146 suffrages pour son leader, ses colistiers – dont la moitié est issue de l’ancien conseil municipal – se situant entre 8 789 et 9 380 voix.

 

Résultats du premier tour des élections municipales du 20 juillet à Saint-Étienne (Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 22 juillet 1930 – Gallica).

 

La liste de Coalition des gauches menée par Soulié s’incline lourdement. L’ancien maire ne remporte que 4 363 voix. Délégitimé par les urnes, il se retire de la course, au nom de la discipline républicaine. Ses soutiens, et notamment le journal Vérités paru la veille du second tour, appellent à rayer le nom du rival honni sur les bulletins de vote. Des consignes officieuses seraient passées en faveur de la liste Neyret. La Tribune républicaine demeure silencieuse, quand La Loire républicaine ne défend pas la candidature Durafour.

La liste présentée par le Parti communiste arrive en quatrième position le soir du premier tour, obtenant entre 2 676 et 3 148 voix en fonction des candidats. Le résultat s’avère décevant au vu des élections municipales de 1929. Si le PC devance nettement la SFIO locale, la campagne de 1930 s’inscrit dans un temps faible de l’activité du rayon stéphanois[31]. Il n’est cependant pas question de remettre en cause la stratégie imposée par le parti. Le mot d’ordre « classe contre classe » motive un maintien au second tour, dont l’effet se révèle limité.

 

Affiche électorale du rayon de Saint-Étienne du PC-SFIC pour les élections municipales de juillet 1930 (Archives départementales de la Loire, 3 M 528).

 

Durafour ne cherche pas à étendre sa coalition, qui inclut déjà une fraction de la SFIO stéphanoise, menée par Antoine Staron (1882-1963)[32]. Ni les soutiens de Soulié, ni la liste socialiste n’obtiennent de places dans la liste présentée par l’ancien ministre du Travail au second tour. Les électeurs stéphanois valident cette stratégie. L’ensemble des membres présents sur la liste Durafour est élue le 27 juillet 1930, avec une avance d’environ 4 000 voix sur la liste Neyret.

Antoine Durafour devient ainsi maire de Saint-Étienne, presque 23 ans après son premier succès lors des élections cantonales d’août 1907. Dans un contexte financier difficile, la priorité de la nouvelle municipalité est accordée à la remise en état des bâtiments communaux existants, écoles publiques en tête – le théâtre n’est quant à lui pas reconstruit. L’action de Durafour s’avère cependant brève, puisqu’il décède prématurément, le 25 avril 1932, à 55 ans. Alfred Vernay, devenu son premier adjoint, lui succède. Comme son prédécesseur, il s’inscrit dans une ligne politique nettement hostile à tout rapprochement avec le camp communiste.

Soulié sort plus qu’affaibli de cette séquence. Il perd l’ensemble de ses mandats électifs en deux ans. L’ambition politique ne l’abandonne pourtant pas. Fidèle à son engagement républicain et à son attention en faveur de la classe ouvrière, il appelle à une large coalition à gauche, jusqu’aux communistes pourtant critiques à son encontre[33]. Tout change en 1934, lorsque Joseph Staline, leader incontesté de l’Union soviétique, met fin à la stratégie « classe contre classe » face au risque fasciste en Europe. L’alliance est à nouveau possible, et l’ancien maire de Saint-Étienne saura mettre à profit cette perspective nouvelle…

 

Antoine VERNET

 

Notes

[1] Sur l’histoire des fabricants de cycles, motocycles et pièces détachées à Saint-Étienne : André Vant, Le cycle en région stéphanoise, un siècle de savoir-faire, Lyon/Saint-Étienne, Fage/Musée d’art et d’industrie, 2014, et Bernard Chaussinand, L’industrie du cycle à Saint-Étienne et dans le bassin de la Loire, sl., École stéphanoise de cyclotourisme, 2014.

[2] La CGTU est issue de l’autonomisation toujours plus forte de l’ancienne minorité pacifiste de la CGT, opposée à l’Union sacrée puis favorable aux perspectives révolutionnaires ouvertes par les révolutions russes de 1917. La scission est consacrée en décembre 1921. Cf. Jean-Louis Robert, La scission syndicale de 1921. Essai de reconnaissance des formes, Paris, Publications de la Sorbonne, 1980 ; Jean Charles, Naissance et implantation de la confédération générale du travail unitaire (1918-1927), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2023.

[3] Serge Wolikow, « L’organisation du PCF à ses débuts », Nouvelles FondationS, n°1, 2006, p. 159-165. Sur la naissance et les premières années du communisme français : Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, Paris, Presses universitaires de France, rééd. 2022 ; Roger Martelli, Jean Vigreux, Serge Wolikow, Une histoire du PCF (1920-2020), Paris, Armand Colin, 2020 ; Julian Mischi, Le parti des communistes. Histoire du Parti communiste français de 1920 à nos jours, Marseille, Hors d’atteinte, 2020.

[4] Jean Lorcin, Jean Maitron et Claude Pennetier, « GRANJON Léonce », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social Maitron, Paris, Éditions de l’Atelier, 2016 [en ligne].

[5] La qualité de l’édition tient non seulement au temps nécessaire à la composition, mais aussi aux moyens financiers du mouvement communiste. Un hebdomadaire comme Le Cri du Peuple, malgré un prix de vente fixé à 30 centimes, nécessite un financement conséquent du parti et des rayons concernés par sa diffusion, alors même qu’il incorpore quelques réclames disposées dans ses pages. Les dépliants proposent, quant à eux, d’importants encarts publicitaires.

[6] Thierry Gervais, « La similigravure », Nouvelles de l’estampe, n°229, 2010, p. 8-25.

[7] Christian Delporte, « Le dessinateur de presse, de l’artiste au journaliste », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°35, 1992, p. 29-41.

[8] Successeur de certaines éditions régionales de L’Humanité du Midi, Le Cri du Peuple conserve alors une rédaction principale installée à Nîmes (cf. Alexandre Courban, « Une édition régionale de L’Humanité : L’Humanité du Midi (décembre 1923-novembre 1925) », dans Sylvie Le Clec’h, Christian Oppetit et Serge Wolikow (dir.), Archives et communisme(s) : l’avant-guerre (1919-1943), Pierrefitte-sur-Seine, Publications des Archives nationales, 2016 [en ligne]). La rédaction stéphanoise est fixée au Café coopératif.

[9] Michel Dixmier, « CABROL Raoul », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social Maitron, 2008 [en ligne].

[10] Le respect du droit d’auteur est alors aléatoire dans la presse française en matière iconographique, photographies ou dessins. Dans le cadre de feuilles de propagande, qui plus est publiées par des cellules d’un parti favorable à l’abolition de la propriété privée, il en est encore moins question.

[11] Sur le parcours d’André Tardieu : François Monnet, Refaire la République, André Tardieu, une dérive réactionnaire. 1876-1945, Paris, Fayard, 1993 ; Maxime Tandonnet, André Tardieu : l’incompris, Paris, Perrin, 2019.

[12] Le premier ministère Tardieu tombe le 17 février 1930. Le député du Territoire-de-Belfort obtient à nouveau la confiance de la Chambre des députés le 2 mars, après l’échec du gouvernement formé par le radical Camille Chautemps.

[13] L’affaire Oustric commence ainsi en novembre 1929. Elle touche notamment le ministre de la Justice du gouvernement Tardieu, Raoul Péret. Cf. Jean-Noël Jeanneney, L’argent caché : milieux d’affaires et pouvoirs politiques dans la France du XXe siècle, Paris, Fayard, 1981 ; Jean Garrigues, Les scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf, Paris, Robert Laffont, 2004.

[14] Ce choix s’explique sans doute par l’absence préalable de toute caricature des deux hommes dans la presse communiste nationale ou locale.

[15] Pour un suivi plus précis des événements et publications dans la presse stéphanoise : Jean Lorcin, Économie et comportements sociaux et politiques. La région de Saint-Étienne de la Grande Dépression à la Seconde Guerre mondiale, thèse de doctorat d’État en histoire, Université Paris 1, 1987, p. 2257-2264 ; André Vant, « D’une guerre à l’autre (1914-1939) », dans Étienne Fournial (dir.), Saint-Étienne. Histoire de la ville et de ses habitants, Roanne, Horvath, 1976, p. 286-292.

[16] Jean-Michel Steiner et Gérard Michel Thermeau, Les maires de la « grande ville ouvrière ». Une autre histoire de Saint-Étienne, 1778-2015, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2015 ; Jean-Michel Steiner, « SOULIÉ Louis », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social Maitron, 2022 [en ligne]. Le Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940, dirigé par Jean Jolly (Paris, Presses universitaires de France [en ligne]), possède également une notice pour chaque homme : ici pour Durafour, là pour Soulié.

[17] La société en nom collectif Leflaive & Cie (Forges et ateliers de la Chaléassière) est en liquidation depuis 1925. Elle ne doit pas être confondue avec la Société anonyme des Établissements Leflaive constituée en 1922 – future Société nouvelle des usines de la Chaléassière –, qui exploite les actifs de la première société avant d’en acquérir une majeure partie lorsque la liquidation amiable se met en place. Cf. Antoine Vernet, « Patron social et patron de combat. L’action de Joseph Leflaive aux usines de la Chaléassière (1898-1925) », dans GREMMOS (éd.), Le monde ouvrier face à la Grande Guerre. Le bassin de Saint-Étienne de 1910 à 1925, Saint-Barthélémy-Lestra, Actes graphiques, 2018, p. 41-73.

[18] Hervé Joly, « De la Banque Perier à la Banque Bauer, Marchal & Cie : de l’ascension irrésistible à la liquidation impossible », dans Hubert Bonin et Laure Quennouëlle-Corre (dir.), Explorer les archives et écrire l’Histoire. Autour de Roger Nougaret, Genève, Librairie Droz, 2022, p. 495-510.

[19] Quelques mois après, le scandale de l’Aéropostale contribue à entretenir le doute sur les tenants et aboutissants de l’affaire stéphanoise. Cf. Nicolas Neiertz, « Argent, politique et aviation. L’affaire de l’aéropostale (1931-1932) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°24, 1989, p. 29-40.

[20] Il est difficile d’analyser le rôle joué par le préfet Génébrier dans la crise municipale. La Tribune républicaine l’accuse d’œuvrer contre Soulié, dans l’intérêt du président du Conseil et ministre de l’Intérieur Tardieu, et par extension de Taurines. Une consultation des fonds du ministère de l’Intérieur, aux Archives nationales, se révèle ici nécessaire. Sur son parcours parlementaire ultérieur : Jean Jolly (dir.), Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940, op. cit. [en ligne].

[21] L’observateur contemporain peut tenter d’aller au-delà des présomptions. L’inventaire après décès de la veuve de Louis Soulié, Adrienne Gintzburger, révèle que celle-ci possède alors 60 actions de la société Gnome & Rhône, d’une valeur de 51 660 francs (Archives départementales de la Loire, 2148 W 10, déclaration de mutation par décès n°663, 24 mai 1941).

Au moment de son propre décès, son frère Alphonse Gintzburger, associé de Soulié, est propriétaire de 256 actions Gnome & Rhône, d’un montant de 172 800 francs, auxquelles s’ajoutent 40 actions de jouissance, d’une valeur de 26 000 francs (Archives départementales de la Loire, 2148 W 20, déclaration de mutation par décès n°411, 18 mars 1942).

Rien de tel ne figure dans la succession de Louis Soulié (Archives départementales de la Loire, 2148 W 10, déclaration de mutation par décès n°662, 24 mai 1941). Ces éléments ne sauraient néanmoins prouver quoi que ce soit, dans un sens ou dans l’autre : un portefeuille d’actions en 1939 ne présume rien de son état dix ans auparavant, encore moins d’éventuels accords entre les parties.

[22] Il s’agit de l’ancienne organisation de jeunesse de la Ligue des patriotes, fondée par le député nationaliste Pierre Taittinger. Autonome depuis 1926, les Jeunesses patriotes constituent une ligue d’extrême-droite hostile au parlementarisme et aux partis de gauche.

[23] Archives départementales de la Loire, 3 M 528, note du 12 juin 1930. Vernay a signé, à la demande du maire absent de Saint-Étienne, le contrat cédant l’option d’achat des terrains, concédée originellement à Gnome & Rhône, au profit d’Astral. Pour cette raison, le premier adjoint est un temps la cible des opposants de Soulié, notamment des alliés de Durafour. Peu désireux d’endosser une telle responsabilité, il finit par se rallier à son collègue député contre l’ancien maire, ce qui provoque l’ire de La Tribune à son encontre.

Sur le parcours du futur maire de Saint-Étienne : Jean Jolly (dir.), Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940, op. cit. [en ligne] ; Jean-Michel Steiner et Gérard Michel Thermeau, op. cit.

[24] Cette commission spéciale, de trois puis sept membres, est dirigée par le président du tribunal de commerce de Saint-Étienne, Jean-Marie Limousin (1868-1946).

[25] Antoine Durafour est actionnaire et administrateur de la Société anonyme de l’imprimerie et du journal La Tribune républicaine (Archives départementales de la Loire, 6 U 2 185, registre du commerce et des sociétés, registre analytique B sociétés).

[26] Sur Benjamin Gaillard : Jacques Girault, « GAILLARD Benjamin, Alfred », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social Maitron, op. cit., 2009 [en ligne].

[27] Archives départementales de la Loire, 3 M 528, note sans auteur, 15 juin 1930. Cette société, fondée en mai 1929, est dirigée par Paul Durutin, futur conseiller municipal communiste de Saint-Étienne. Son capital social est de 700 francs.

[28] Au premier tour des municipales de mai 1929, la liste conduite par Soulié, avec Durafour en deuxième position, affronte notamment une liste baptisée « Pour la défense des intérêts de la ville », présidée par Claude Eyraud. Malgré le potentiel représenté par les abstentionnistes du premier tour, la tendance apparaît très négative en vue du second tour pour cette dernière, d’apparence apolitique.

La droite stéphanoise tente alors un coup de poker : la liste Eyraud laisse place à une liste de concentration sociale et démocratique. Plus d’un tiers des candidats sont renouvelés, ce qui inclut Jean Taurines, propulsé tête de liste, ainsi que le député Jean Neyret (1890-1969), homonyme de l’ancien maire. Eyraud est relégué en troisième position. La liste de Louis Soulié l’emporte néanmoins.

Les liens ci-dessus mènent aux notices biographiques des deux hommes publiées dans le Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (op. cit.).

[29] La liste dirigée par Neyret connaît un important renouvellement, plus de 60 %, par rapport aux listes Eyraud et Taurines de 1929.

L’union se réalise, non sans difficultés, entre les principaux courants de la droite stéphanoise. Par son absence d’attache partisane, Jean-Marie Limousin apparaît, pour certains observateurs, comme un candidat fédérateur. L’investiture de Neyret lui barre néanmoins la route du premier tour.

Comme en 1929, la défaite probable ressuscite l’opportunité d’une nouvelle liste au second tour, que dirigerait Limousin. Celui-ci souhaite une liste d’intérêt communal, dont la composition différerait sensiblement afin d’obtenir des voix d’électeurs de gauche. La manœuvre exclurait certaines figures de la droite stéphanoise, ainsi qu’un parlementaire comme Taurines, trop réactionnaire pour les uns, trop avancé pour les autres.

L’accord se révèle impossible. Certains animateurs de la droite stéphanoise défendent en effet un ancrage politique plus marqué, et ainsi leur propre maintien sur la liste de second tour (Archives départementales de la Loire, 3 M 526).

[30] Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 30 juillet et 1er août 1930.

[31] Archives départementales de la Loire, 3 M 528, rapport du commissaire central de Saint-Étienne, 4 juillet 1930.

[32] Jean Lorcin, « STARON Antoine », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social Maitron, op. cit., 2010 [en ligne].

[33] Cf. Jean-Michel Steiner, « De la défense républicaine à l’antifascisme : les proclamations de début de mandat de Louis Soulié, maire de Saint-Étienne », Patrimages, n° 1, Sous le regard de l’homme de bronze, 2000, p. 117-146.

 

Annexe documentaire

Archives municipales de Saint-Étienne, 10 M 11, « Les travailleurs balayeront toute cette bande de tripoteurs », feuille de propagande éditée par la cellule communiste de l’usine Automoto de Saint-Étienne, imprimée par le rayon communiste de Saint-Étienne, secrétaire Léonce Granjon, au Café coopératif (9 cours Victor Hugo), juillet 1930.

 

Les travailleurs balayeront toute cette bande de tripoteurs

Feuille de propagande éditée par la Cellule AUTOMOTO

Imprimée par GRANJON, Café Coopératif, 9. C. V. Hugo, ST.ÉTIENNE

 

 

À BAS LES TRIPOTEURS…

Comme le Parti COMMUNISTE l’avait prévu le jugement [qui] devait être rendu sur l’affaire de l’aviation n’avait d’autre but que d’étouffer le scandale.

POURQUOI..?

C’est bien simple. Le scandale de ST.ÉTIENNE n’est pas isolé. Il s’en produit comme cela un peu partout et tous les jours. C’est tous les jours, c’est à chaque instant que les financiers [qui] cherchent à grossir leur fortune spéculent, volent, pillent, couverts par la loi.

Dans l’affaire de l’aviation, il ne s’est pas passé autre chose le gouvernement français prépare la guerre. Il dispose de 15 à DIX HUIT MILLIARDS pour cela, et par an.

Où vont ces milliards..? Ils servent à entretenir les armées, mais ils servent aussi à payer les industriels et les financiers qui fabriquent le matériel de guerre.

Aussi de nombreuses firmes et des sociétés financières cherchent à accaparer les commandes de l’État français et même étrangers pour la guerre.

C’est ce qui s’est produit pour la fabrication des moteurs d’avions.

Dès que les sociétés capitalistes apprirent que le ministre de l’AIR voulait installer des usines en province, ce fut la ruée. De Bordeaux, de Marseille, de ST.ÉTIENNE, les financiers et les industriels cherchèrent à profiter de l’aubaine………

Mais comme toutes les sociétés ne pouvaient être satisfaites il en résulta que la concurrence, la lutte. ST.ÉTIENNE et la société GNOME et RHÔNE ayant été agrées par le MINISTRE, les autres sociétés, les autres puissances capitalistes firent tout pour enlever à GNOME et RHÔNE sa proie c’est-à-dire les commandes de l’état, et ses énormes subventions.

Elles profitèrent d’une irrégularité administrative pour faire annuler le plan échafaudé. Voilà toute l’affaire de l’aviation. C’est une course aux bénéfices. Elle ne diffère en rien de celle des compagnies de mine, des sociétés industrielles qui n’ont pas peur d’exploiter l’ouvrier, de voler l’État pour augmenter les dividendes ce n’est donc pas seulement un ou deux individus ou sociétés qui soit compromis dans l’affaire de l’aviation. C’est tout le régime. Voilà pourquoi le Tribunal ne pouvait pas juger cette affaire et voilà pourquoi il ne peut pas condamner les uns et les autres. Et dans cette affaire des terrains de l’aviation les politiciens se sont mis au service des différentes sociétés. Nous avons vu le démocrate SOULIÉ marcher à fond dans GNOME ET RHÔNE et les réactionnaires sous le couvert de l’honnêteté défendu en douce, telle autre société qu’il se sont bien gardés de nommer. Quand à DURAFOUR il a foncé tête baissée avec les gens du MÉMORIAL et a trouvé pour mener sa campagne de l’argent chez les plus richissimes industriels de ST.ÉTIENNE. Le scandale de ST.ÉTIENNE a eu au moins l’avantage de démontrer la liaison entre ses prétendus amis de la classe ouvrière et ses plus odieux exploiteurs. Les ouvriers n’ont pas à prendre position entre ses différents élans qui défendent les intérêts de la bourgeoisie. Leur rôle est claire. Ils doivent balayer tous ces comédiens et mettre à la Municipalité le Parti Communiste qui lutte constamment contre le capitalisme et pour l’augmentation des salaires.

 

5ème CONGRÈS DE L’INTERNATIONALE SYNDICALE ROUGE….

Le 15 Août 1930 s’ouvriront à MOSCOU les assises du 5ème CONGRÈS de l’Internationale Syndicale Rouge…

L’Internationale Syndicale Rouge est une puissante organisation qui groupe des ouvriers du monde entier et qui englobe les forces les plus actives du prolétariat mondial.

Ce CONGRÈS étudiera et préparera les luttes à venir pour l’augmentation des salaires, contre la rationalisation capitaliste pour la défense de l’URSS, et contre les guerres impérialistes. 1.000 DÉLÉGUÉS pris parmi les ouvriers des différents états du monde participeront à cet important congrès

La région stéphanoise aura trois délégués à désigner.

Pour permettre à nos camarades d’aller à MOSCOU et devant les frais occasionnés par un tel déplacement, des collectes seront organisées, des cartes de l’ISR seront vendues. TRAVAILLEURS participez à la préparation du congrès de l’ISR en discutant les questions portées à l’ordre du jour du congrès et en souscrivant, vous aurez donné votre appui au développement de notre : INTERNATIONALE SYNDICALE ROUGE..

 

CE QUE NOUS DISIONS… !

Il y a deux et quatre ans sur SOULIÉ et DURAFOUR est plus que justifié aujourd’hui, en effet : nous disions que le bloc des gauches et le bloc des droites ne valaient pas mieux l’un que l’autre et qu’ils étaient deux fractions de la bourgeoisie. En maintenant nos candidats au deuxième tour : SOULIÉ et DURAFOUR disaient : les communistes font le jeu de la réaction. Aujourd’hui DURAFOUR déclare : Mr SOULIÉ est multimillionnaire et s’est un MAIRE PROVOCATEUR. C’est LUI qui est cause de la dissolution du Conseil Municipal et qui favorise LA RÉACTION. SOULIÉ à son tour déclare : Mr DURAFOUR s’est TAURINES…, c’est la RÉACTION. Il prétend qu’il n’a pas le sou et il a dépensé plus de 200.000 FRANCS. pour mener sa campagne, ou a-t-il pris l’argent.. ? et SOULIÉ d’ajouter DURAFOUR est soutenu par le Comité des Forges, par la Cie des Mines de Roche-la-Molière. Au deuxième tour nous maintiendrons nos candidats contre toute cette équipe de TRIPOTEURS : LES SOULIÉ-DURAFOUR-NEYRET……

Tous les travailleurs conscients travailleront pour leur Parti de Classe le : PARTI COMMUNISTE…

 

 

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