1937 – La fondation du Club Sportif Ouvrier de Saint-Chamond

L’exploration, dans les fonds de la préfecture de la Loire (archives départementales), des dossiers relatifs aux associations, est une démarche longue mais instructive sur l’histoire sociale et culturelle de notre région. À côté des associations liées à l’Église, des œuvres sociales à l’image des jardins-ouvriers, des associations musicales et des clubs de chasse, les organisations sportives constituent un pan important de ces fondations.

L’exploitation de l’article 4 M 354, compilant les fondations et modifications d’associations créées dans la commune de Saint-Chamond, permet de vérifier l’intérêt d’une telle approche. En partant de ce qui peut sembler anecdotique, cette documentation ouvre d’intéressantes perspectives.

C’est le cas d’une association, dont le matricule d’inscription est le numéro 306-97, soit la 97ème association enregistrée dans la ville de Saint-Chamond (la 306ème dans l’ordre alphabétique des communes du département de la Loire). Il s’agit du Club Sportif Ouvrier de Saint-Chamond.

Sa fondation officielle survient au cours de l’année 1937 : la déclaration d’association est enregistrée le 10 mai 1937, après deux tentatives avortées les 9 janvier et 8 février de la même année. Un récépissé est délivré le jour même, avant une publication au Journal Officiel le 19 mai suivant.

Archives départementales de la Loire, 4 M 453, lettre d'Antonin Fouque au préfet de la Loire, 9 janvier 1937 (et non 1936, erreur commune en début d'année civile).

Le nom de Club Sportif Ouvrier s’ancre dans une histoire plus vaste, celle du mouvement sportif ouvrier français[1]. La fusion des deux principales organisations, la communiste Fédération sportive du travail (FST) et la socialiste Union des sociétés du sport et de la gymnastique du Travail (USSGT) donne naissance, en décembre 1934, à la Fédération sportive et gymnique du travail, autrement dit la FSGT. Le rapprochement des deux tendances s’inscrit dans un contexte marqué par la montée du péril fasciste.

Dans la Loire comme ailleurs, la période du Front populaire s’avère propice au développement de clubs s’affiliant à la FSGT[2]. C’est ainsi qu’un premier courrier, daté du 9 janvier 1937, adressé par le secrétaire du Club Sportif Ouvrier, Antonin Fouque[3], informe le préfet de la fondation de l’association. Son but est « de distraire sainement ses membres et de créer entre eux de solides liens de camaraderie, de développer par des exercices appropriés le corps et les aptitudes de chacun ».

Selon le récépissé du 8 février 1937, le bureau de l’association se compose, outre Antonin Fouque, du président Noël Sagnol[4] et du trésorier Marius Redon[5]. Les trois hommes résident à Saint-Chamond et Izieux. Ils appartiennent, ainsi que l’imposent les statuts retranscrits ci-dessous, au Parti socialiste ou aux Jeunesses socialistes.

Contrairement à ce qui se passe dans de nombreuses villes de banlieue parisienne, le club n’a aucun lien avec la municipalité, alors dirigée par le radical indépendant Antoine Pinay. Malgré l’importance de quelques usines textiles ou métallurgiques, comme celle des Forges et aciéries de la Marine et d’Homécourt, le canton de Saint-Chamond présente une sociologie défavorable tant aux socialistes qu’aux communistes. Le siège de l’association est cependant la salle de la Justice de Paix de la mairie.

En-dehors du dossier conservé par les archives départementales, l’histoire du club demeure, semble-t-il, inconnue. Rien ne permet d’affirmer que l’association ne constituerait qu’un instrument de propagande ou de recrutement, et ne proposerait pas de véritables loisirs entre militants, heureux de se retrouver en parallèle de leur engagement politique. L’exploitation de la presse socialiste et/ou sportive permettrait, sans doute, de connaître les sports proposés aux adhérents (football, boule lyonnaise, cyclisme, etc.).

À en croire l’enquête menée par les services de police, en mai et juin 1966, sur le devenir de l’association, il semblerait que l’activité du Club Sportif Ouvrier n’ait pas survécu à l’année 1939, probablement en raison de la déclaration de guerre. Dès lors, l’association est définitivement radiée par l’administration préfectorale.

Deux documents très légèrement différents regroupent les différents articles des statuts. La version retranscrite ici est celle du document immatriculé AF07747.

Archives départementales de la Loire, 4 M 354, Statuts du Club Sportif Ouvrier de Saint-Chamond, 1937.

Club Sportif Ouvrier de Saint-Chamond

Société sportive affiliée à la fédération sportive et gymnique du travail

Statuts.

Article un : Il est créé à Saint-Chamond sous le contrôle du groupe des Jeunesses socialistes de Saint-Chamond une association sportive ayant pour nom le « Club Sportif ouvrier de Saint-Chamond », association sportive et gymnique du travail (F.S.G.T.) dont elle accepte Statuts et Conditions. Son siège social est fixé Salle Justice de Paix Mairie de St-Chamond et peut être changé par décision de l’Assemblée Générale.

Article II : Cette association a pour but : premièrement : De distraire sainement ses membres et de créer entre eux de solides liens de camaraderie ; deuxièmement : De développer par des exercices appropriés le corps et les aptitudes de chacun.

Membres et Cotisations :

Article trois : Il existe 3 catégories de membres : 1°) les membres honoraires ; 2°) les membres actifs adultes, 3°) les membres pupilles (huit à quinze ans)

Article quatre : Les adhésions seront soumises à l’examen du Comité administratif.

Article cinq : La cotisation des membres honoraires est fixée annuellement au minimum de dix francs. Celles des membres actifs adultes à trois francs par moi et celle des membres actifs pupilles à un franc.

Article six : La cotisation des membres actifs comprend l’assurance et la licence.

Article sept : Tout membre actif adulte ou pupille en retard de six mois de cotisation sera radié et ne pourra être réintégré qu’après paiement de l’arriéré de ses cotisations.

Administration :

Article huit : L’association a à sa tête un Comité Administratif qui comprend :

1°) Un Président, 2 Vice-Présidents, un Secrétaire, un Secrétaire adjoint, un trésorier, un trésorier adjoint. Tous ces membres doivent être obligatoirement adhérents au Parti ou aux Jeunesses socialistes. Ils sont nommés pour un an par la Commission administrative des Jeunesses Socialistes en accord avec la section ; 2°) D’un délégué par Comité technique.

Article neuf : Chaque branche de sport a son Comité Technique composé de cinq sportifs compétents. Au sein de chaque comité technique seront choisis, un Secrétaire, un Secrétaire adjoint et un délégué au Comité administratif. Ces trois membres devant être inscrits soit au Parti, soit aux Jeunesses socialistes.  Les membres du Comité technique seront élus pour un an et rééligibles par l’Assemblée Générale de Janvier.

Article dix : Une commission de contrôle de cinq membres élus pour un an, non rééligibles, non choisis parmi les membres du Comité Administratif est chargée de vérifier annuellement les comptes du trésorier.

Article onze : Le comité administratif se réunit en principe tous les quinze jours.

Assemblée générale :

Article douze : Les membres du Club Sportif Ouvrier de St-Chamond se réunissent deux fois l’an en janvier et en juillet en Assemblée Générale. L’assemblée générale est souveraine en ce qui concerne l’administration de l’Association. N’auront voix délibératives que les membres des Jeunesses ou du Parti Socialiste.

Dispositions diverses :

Article treize : En cas de dissolution du « Club sportif ouvrier de St-Chamond » les fonds en caisse seront versé au groupe des Jeunesses socialistes de St-Chamond.

Article quatorze : Les présents statuts ne pourront être modifiés que par une Assemblée Générale du « Club Sportif Ouvrier de St-Chamond » après ratification du Groupe des jeunesses socialistes de St-Chamond.

Association déclarée selon la Loi du Premier Juillet mille neuf cent un.

Statuts déposés à la Préfecture de Saint-Étienne le [champ non rempli]

 

[Signatures : Fouque, Sagnol, Redon, Villedieu, Bertin, J. Néel, Foraison]

NOTES :

[1] Sur l’histoire du mouvement sportif ouvrier français et européen : Pierre Arnaud (dir.), Les origines du sport ouvrier en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Nicolas Kssis, « La municipalité ouvrière et le milieu sportif : tutelle ou complémentarité », dans Claire Andrieu, Gilles Le Béguec et Danielle Tartakowsky (dir.), Associations et champ politique. La loi de 1901 à l’épreuve du siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 277-290 ; André Gounot, Les Mouvements sportifs ouvriers en Europe (1893-1939), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, rééd. 2016.

Pour une histoire (interne) de la FSGT : Nicolas Kssis (textes) et al. (collab.), La FSGT : du sport rouge au sport populaire, Montreuil et Pantin, Éditions La Ville brûle / Sport et Plein Air-FSGT, 2014.

[2] Quelques éléments historiques sont donnés par : Nicolas Kssis-Martov, « Le sport ouvrier à Saint-Étienne et dans la Loire !», Sport et Plein Air, revue de la FSGT, n°519, avril 2008, p. 30-31, texte retranscrit sur son blog (malheureusement peu fonctionnel en ce qui concerne les anciens articles), hébergé par le site SoFoot.com.

[3] Antonin Fouque correspond probablement au charpentier, né en 1910, arrêté à Sainte-Croix-en-Jarez puis interné à Lyon en janvier 1944. Déporté à Buchenwald en août 1944, il survit aux camps (Nathalie Forissier, La déportation dans la Loire, 1940-1944 : le mémorial des déportés, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2005, p. 107).

[4] Noël Sagnol est alors le secrétaire de l’Union des sections socialistes du canton de Saint-Chamond (Le Populaire de Paris, n°5089, 17 janvier 1937, p. 4).

[5] Marius Redon est, sans doute, l’ancien poilu interrogé par Lucien Barou (Mémoires de la Grande Guerre. 187 Poilus du Forez et de sa périphérie témoignent…, tome 1, 1914, Saint-Étienne, Conseil général de la Loire, 2014, p. 26). Né en 1894 à La Grand-Croix, cet ancien chaudronnier à l’usine de Saint-Chamond des Forges et aciéries de la Marine et d’Homécourt s’est reconverti en 1930 comme postier, à Rive-de-Gier puis Saint-Chamond.

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