Enjeux de territoire et transformation du militantisme catholique : le quartier de Solaure, 1938-1983

François Maguin, « Enjeux de territoire et transformation du militantisme catholique : le quartier de Solaure (Saint-Étienne), 1938-1983 », dans GREMMOS (éd.), Monde ouvrier et religions. Actes des 5es Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne, 19 janvier 2018, Saint-Étienne, GREMMOS, 2022 [en ligne].

 

Cette intervention est issue d’une maîtrise de sciences sociales sur l’histoire des associations de Solaure[1]. J’y ai une position singulière puisque j’ai été témoin et acteur de la période de 1973 à 1979, en tant que directeur du Centre social.

 

I. 1926 – 1938 : un quartier de mission

 

On se souvient qu’après la guerre de 1914-1918, Saint-Étienne était considérée comme la capitale des taudis en France. Aussi, les municipalités de gauche Soulié, Durafour et Vernay vont mener, avec l’office municipal HBM, une vaste opération de création de logements populaires, entre 1926 et 1932, dans les quartiers de Tardy, Valbenoîte et Solaure[2]. Dans ce dernier secteur, s’érigent, en six ans, trois blocs de bâtiments regroupant 2 000 personnes dans 420 logements.

Ce quartier présente toutes les caractéristiques d’un quartier de mission, au sens donné par les abbés Henri Godin et Yvan Daniel dans leur livre de 1943, La France, pays de mission ?[3].

 

A. Quartier marginalisé

 

Les constructions ont lieu sur les terrains agricoles de Solaure, prés de la Jomayère, vieux quartier de mineurs du XIXe siècle. Ces terrains, implantés par-delà l’hôpital Bellevue, limite du Saint-Étienne du XIXe siècle, sont caractérisés par leur éloignement et leur isolement par rapport à la ville. La rue Ambroise Paré qui les dessert finit en cul-de-sac au milieu des cités.

 

B. Quartier populaire

 

Ce quartier présente une forte homogénéité sociale avec 80 % d’ouvriers qualifiés, de mineurs, de métallurgistes, de manœuvres et d’employés. Il abrite cependant plus de 50 % de familles nombreuses composées de plus de six personnes. Dans ces cités se reconstitue très rapidement un mode de vie populaire, car ces nouveaux arrivants viennent des taudis du centre-ville et se connaissent déjà entre eux. Aussi, le quartier hérite d’une image très négative, comme l’attestent les jugements portés par Jean Cellier dans sa thèse de 1949 :

« Les casernes de Solaure… les familles nombreuses dans toute leur laideur… le laisser-aller général… les gens trop vulgaires… les nids de délinquance »[4].

 

C. Quartier à prédominance communiste

 

Dans les années 1970, courait encore, à Solaure, la rumeur. L’office HBM aurait facilité la venue sur le quartier de militants de gauche. En tout cas, on y trouve, à cette époque, des personnalités communistes reconnues, comme Louis Duchesne, Louis Perrichon ou François Royet[5]. Ils ont créé de nombreux moyens d’action locale comme, en 1936, l’Amicale laïque Henri Barbusse et le Groupe de défense des intérêts des habitants de Solaure. Les résultats sont là, puisqu’après la création d’un bureau de vote en 1958, le PCF remportera toujours entre 25 et 30 % des suffrages.

 

D. Quartier déchristianisé

 

Il existe, depuis le XIXe siècle, une paroisse à la Jomayère, mais le curé refuse de s’occuper de Solaure, dont il craint la population. Il faut dire que l’anticléricalisme y était fort, puisque les séminaristes qui encadraient le patronage racontaient s’y faire « croasser » par les jeunes lorsqu’ils accompagnaient les enfants au Guizay.

 

 

II. 1938 – 1944 : les projets contrariés des catholiques sociaux 

 

Cette « banlieue rouge » n’est cependant pas laissée de côté par les catholiques sociaux.

 

A. Projet paternaliste : un ensemble religieux

 

Le patronat catholique social local fonde donc l’Association Notre-Dame-de-la-Paix en 1938, dans le cadre plus vaste de celle basée à Lyon, « Le Christ dans la banlieue » du révérend père jésuite Pierre Lhande[6]. Il s’agit de construire une église avec une école libre et un « centre religieux social pour tous les services matériels et moraux à rendre à une population ouvrière »[7].

 

B. La guerre : l’affaiblissement des laïques

 

La guerre stoppe les travaux, mais aussi affaiblit la position des laïques. Les amicales passent sous la tutelle du Secours national. Les militants entrent dans une semi-clandestinité, tandis que le quartier survit dans des conditions matérielles et sanitaires très difficiles, comme une épidémie de typhoïde et de diphtérie qui tue plusieurs enfants.

 

C. 1942 : une réponse adaptée aux circonstances : le centre social

 

Le centre social est créé en 1942 par l’initiative personnelle d’une militante catholique désireuse d’apporter une aide à la population. Simone Pochinot est l’épouse d’un cadre de l’usine Thuasne, avec lequel elle a eu six enfants. Elle est issue d’une famille bourgeoise très liée au catholicisme social. Elle ouvre donc un local pour accueillir avant tout les enfants, les jeunes et les femmes. Ses objectifs sont définis dans un texte de 1944 : « Transformer leur vie, les élever moralement au dessus des préoccupations matérielles, et d’abord leur donner le désir, le goût d’une vie spirituelle pénétrant la vie matérielle, s’y confondant pour y faire le vrai jeu de la vie et de la joie »[8].

Les activités sont modestes, vu la dureté des temps[9]. On trouve d’abord une assistance médico-sociale avec goûter des mères, goutte de lait, chauffoir, Foyer des vieux Français, pesée de nourrissons, patronages de vacances avec les Guides de France, dispensaire. Puis une formation pratique d’enseignement ménager pour les femmes et les jeunes filles et, enfin, une formation morale avec des cercles à destination de ce même public féminin.

Des soutiens extérieurs vont permettre à cette œuvre de vivre. Particulièrement, Jean Queneau, directeur adjoint de l’entreprise et gendre de Maurice Thuasne, qui est un militant engagé dans l’association « Économie et Humanisme », fondée en 1941 à Lyon par le père Louis-Joseph Lebret[10]. Il s’emploie à obtenir des subventions de la part du patronat local catholique et introduit cette œuvre au Secrétariat social catholique, présidé par l’ingénieur des mines Jean de Verneuil, qui soutient la création de centres sociaux et de maisons familiales rurales. Par ce biais, le centre obtient un agrément du Secours national et des subventions de la Ville qui permettront la mise en place d’une assistante sociale aux côtés de Simone Pochinot.

Mais, en 1944, le bilan est mitigé. Les références religieuses, l’interventionnisme patronal ont freiné la pénétration du milieu ouvrier. Dans une fourchette de 10 à 40 présences, on fait état d’une fréquentation forte dans l’assistance, moyenne dans la formation ménagère et faible dans les cercles. On peut, cependant, ajouter que cette intervention a marqué l’introduction du travail social sur ce territoire.

 

III. 1944 – 1958 : les militantes et militants du cadre de vie implantent la paroisse

 

Le nouveau bâtiment du Centre social de Solaure, installé à proximité du baraquement suédois. Il est construit sur un terrain appartenant à la paroisse, et laissé à disposition par le curé (collection particulière, vers 1955).

 

A. Présence acceptée de la paroisse Notre-Dame-de-la-Paix à Solaure

 

En septembre 1944, les travaux se terminent et l’association Notre-Dame-de-la-Paix est dissoute. En décembre, la paroisse est inaugurée par le cardinal Gerlier, sans incident notoire.

 

B. Reconnaissance du prêtre

 

Cette intégration pacifique tient, entre autres, à la personnalité du desservant nommé, le curé Thomas, de famille ouvrière, qui va visiter individuellement tous les habitants et ouvrir à tous les services de la cure, notamment le téléphone et le patronage. Il s’appuie sur l’action catholique spécialisée avec des sections actives d’ACGF – Action catholique générale des femmes –, mais aussi de l’ACO, de la JOC, de l’ACI, en plus d’un Foyer Notre-Dame et d’une troupe de scouts[11].

Par là, il est en contact avec les militants du cadre de vie issus de la JOC, du Mouvement populaire des familles, puis de l’Association populaire familiale (APF). Mais ce qui marque surtout les militants laïques, c’est le refus de construire des écoles libres, ouvrant ainsi toutes les possibilités à la rencontre.

 

Les constructeurs du nouveau bâtiment du Centre social de Solaure (collection particulière, vers 1955).

 

C. Mutations de la pratique catholique : la laïcisation du centre social

 

Le centre social devient association en 1948, avec les mêmes acteurs, Jean Queneau, Henri et Simone Pochinot. Mais les temps ont changé et les objectifs énoncés mettent en avant plus la solidarité que la vie spirituelle. Dans les statuts, on parle de « vivre comme membre [du] milieu »[12], ou bien de « collaborer avec tous les hommes de bonne volonté ». De fait, il y a une continuité de l’influence religieuse dans le centre, qui sert de relais au Secours catholique et à la Caisse d’allocations familiales (CAF).

Aussi, lorsque le cardinal Gerlier visite la paroisse en 1953, le centre social revendique clairement son appartenance lors du discours d’accueil : « D’une neutralité farouche, les personnes qui s’en occupent sont d’une obédience très cléricale. Nul ne l’ignore et c’est en cela qu’on peut considérer le centre social comme œuvrant sur un plan chrétien »[13].

Mais l’équipe fondatrice s’efface très rapidement. En 1949, Suzanne Boyer, infirmière établie dans les HBM, rentre au centre social, suivie par son mari Albert. Ingénieur, militant d’Économie et Humanisme, futur candidat aux élections législatives de 1956 sur la liste Jeune République, il devient président du centre en 1953. Tous deux sont engagés dans l’APF et concourent à la laïcisation de l’équipement.

Suzanne Boyer apporte, certes, par sa profession, une aide médicale précieuse, mais elle travaille aussi avec la Caisse d’allocations familiales à une mutation du centre vers un service public.

Mais, surtout, avec les militantes APF du quartier, le couple va élaborer des réponses concrètes et pertinentes aux problèmes rencontrés (coopérative de consommation, machines à laver ou à tricoter à usage collectif, etc.) dans un rapport qui promeut des usagères actives, pragmatiques et non assistées. On ne s’étonne donc pas de voir cette association organiser, en 1948, une quête pour les mineurs en grève.

 

Le nouveau bâtiment du Centre social de Solaure, construit à proximité directe de l’église Notre-Dame de la Paix (collection particulière, vers 1955). L’emplacement se trouve désormais sur le square Maurice Thuasne.

 

D. Rencontres timides avec les laïques

 

Dans le même temps, on assiste à un déclin de l’anticléricalisme et à l’ouverture du PCF, à la recherche de rencontres avec les catholiques. On voit l’amicale laïque inviter le curé à ses conférences, les Jeunesses communistes organiser, au parc de Solaure, des rencontres avec la JOC. Albert et Suzanne Boyer représentent, eux, le centre social au sein du Groupement de défense des intérêts des habitants de Solaure.

 

IV. 1958 – 1977 : la montée des catholiques de gauche

 

A. Mutations du quartier, mutations de la population

 

En 1958, se construit à Solaure une nouvelle vague de 390 logements HLM pour 1 500 personnes. On note aussi l’érection des trente logements de la Maison Sainte-Marie – ou « maison du curé » – par l’Association catholique pour le logement et l’épargne, composante du Patronage Saint-Joseph, lui-même lié au milieu du patronat social de Saint-Étienne[14]. Ainsi s’est installé dans ce quartier laïc un groupe de militants catholiques actifs.

De 1966 à 1974, les 655 logements seront pour 80% des copropriétés. Le quartier change, alors, de visage avec l’ouverture de la rue Ambroise Paré. Il devient passage entre la ville et la vallée de l’Ondaine. Il attire alors les nouvelles classes moyennes qui émergent, petits cadres, employés, enseignants, personnel médical, etc. La population passe à 5 000 habitants et le consensus militant de la période précédente est, bien sûr, remis en question.

 

B. Un militantisme catholique diversifié

 

Le départ en 1961 du curé Thomas va accélérer la laïcisation des interventions catholiques. Le patronage est fermé, comme le cinéma du dimanche après-midi. Le centre social quitte le terrain de la paroisse où il était implanté pour occuper un rez-de-chaussée des HBM.

On assiste, alors, à une prise de contrôle du centre par les catholiques progressistes, l’APF avec Albert Boyer comme président et les nouvelles couches moyennes du PS ou du PSU comme Thérèse et Jean Brousse, qui trouvent là l’occasion de structurer structurent leur identité et leur affirmation sur la scène sociale[15].

Le centre fonctionne donc avec des strates que l’on peut schématiquement décrire ainsi : des femmes actives à la base font tourner les activités du centre : ACO, ACGF, APF ; puis, des habitants de la Maison Sainte-Marie forment le conseil d’administration dont ils constituent plus de la moitié en 1969. Ils portent une certaine crainte du politique, mais assument un engagement de proximité avec les progressistes. Enfin des militants, surtout des hommes, contrôlent le bureau, avec des engagements diversifiés sur le quartier et une action politique à l’extérieur, dans les gauches non communistes : Nouvelle Gauche, PSU, PS.

Cette période est aussi celle de l’irruption des pouvoirs publics : en 1962, le centre social est reconnu comme service public et participe à la fondation de l’Association des centres sociaux de Saint-Etienne. Arrivent aussi sur le quartier des assistantes sociales de la DDASS, de la CAF ou du CCAS, dont l’habitus et la formation concourent à leurs sympathies pour les catholiques[16]. Les animateurs du centre, eux, ont été souvent membres de la JOC et de la JOCF et formés dans ce réseau.

 

C. Partenariat circonspect avec le PCF

 

À nouveaux militants, nouvelles actions. Un nouveau directeur, Norbert Mallay, prend l’école en charge en 1958. Avec Albert Boyer, président du comité de parents d’élèves, il lance une grève de son établissement en 1959, afin d’obtenir des locaux correspondant à l’afflux démographique des enfants sur le quartier. Il organise la signature de pétitions, ainsi que des manifestations lors des lois Debré en 1960. En 1963, communistes et catholiques se retrouvent pour des quêtes en commun au profit des mineurs en grève[17]. À partir de 1970, des comités de quartier fonctionnent sporadiquement sur le secteur[18]. Composés d’associations, ils restent cependant sous le contrôle du PCF.

On retrouve ainsi cette hégémonie communiste. Le souci de ne pas abandonner le terrain local s’observe lors de l’affaire des foyers de jeunes. En 1959, les jeunes scouts et ceux de la JOC fondent une maison des jeunes sous l’église Notre-Dame de la Paix. Ils obtiennent une reconnaissance et un local en 1967. Les Jeunesses communistes mettent alors en place un autre foyer, « La Camargue ». Ces deux équipements se font concurrence jusqu’à l’effacement des fondateurs[19]. Leur fermeture définitive survient en 1975. Dans cette période, le territoire résidentiel devient un enjeu politique des gauches. La présence de Michel Durafour à la tête de la mairie favorise cependant un travail commun et une union locale des actions contre l’adversaire extérieur.

 

V. 1977 – 1983 : unir la Gauche ? La municipalité Sanguedolce

 

A. Un quartier avantagé

 

Avec l’élection d’une municipalité d’union de la gauche en 1977, le quartier de Solaure est bien représenté au sein du conseil, avec Louis Duchesne (PCF) et Jean Brousse (PSU). Il bénéficie ainsi de nombreux aménagements d’espaces verts ou de voirie, mais surtout de la montée de l’axe lourd du tram jusqu’au cœur du quartier, ce qui l’arrime une fois pour toutes à la ville.

 

B. L’évolution du comité de quartier

 

Un nouveau comité de quartier est formé en juin 1977 à l’appel des amicales de locataires et du centre social. Il n’y a alors plus de présence publique d’un militantisme chrétien. Celui-ci emprunte désormais une identité et une expression politique avec le PS, ou une incarnation techniciste avec le centre social. Deux périodes se succèdent[20].

De 1977 à 1981, le PCF contrôle son fonctionnement dans une composition très politique, mais où il conserve la prédominance. Le bureau comprend cependant un représentant du PCF, un du PS, leader des associations non communistes, et le président du centre social. Travaillant dans un « esprit de collaboration avec la mairie, il devient une courroie de transmission et une chambre d’enregistrement du pouvoir municipal. Cette absence de démocratie, cette neutralisation réciproque entraînent un déclin progressif : le comité se réunit deux fois jusqu’en 1980, une fois en 1981.

En 1982 et 1983, les chrétiens de gauche contiennent la montée du PCF sur le territoire avec l’affaire de la maison de quartier. En 1979 déjà, paraissait un article faisant état de l’« agrandissement de l’amicale laïque de Solaure »[source ?]. Cette rupture du consensus local mobilise immédiatement, au sein du comité, les associations non communistes derrière les militants PS. Quatre réunions, dont une avec le maire, seront nécessaires pour fonder un nouveau consensus. Finalement, tous s’accordent sur la transformation des locaux visés en une maison de quartier. Elle serait gérée par une association regroupant 23 associations, sous la présidence incontestée de Norbert Mallay. Son bureau compte toutefois six sympathisants PCF sur neuf membres.

Ainsi, « l’honneur est sauf » pour le PCF, qui reste dominant localement, et pour les associations non communistes, qui ont pu contenir ce développement programmé de l’amicale laïque et maintenir le consensus local. Cette nouvelle association sera limitée à la gestion des locaux, sans permanent ou projet d’animation, mais elle s’avère un lieu bénéfique où se rencontrent et échangent les associations de toute obédience dans le quartier. De là, naîtront la conception d’actions communes et la non concurrence des interventions.

 

Conclusion

 

Enjeux nationaux, pratiques locales

 

Pour conclure, on peut penser que l’évolution de ces militants catholiques reflète bien celle que l’on a pu décrire au niveau national. On passe du religieux au paternalisme et au catholicisme social, du social au progressisme, du militantisme du cadre de vie à une ouverture à la politique. On peut cependant énoncer quelques remarques particulières sur les pratiques locales catholiques.

C’est d’abord l’importance de l’engagement féminin, qui trouve dans ce territoire du quotidien un espace d’action et de reconnaissance. Plus particulier encore, c’est le fonctionnement militant en couple qu’on trouvera à plusieurs moments et qui me paraît typique des associations familiales catholiques, même si les rôles de chacun évoluent lentement. Enfin, on peut y lire comment le travail social fut un outil efficace de pénétration du milieu ouvrier local.

 

Influences réciproques et laïcisation de la société

 

Mais, dans ce territoire que dominait le PCF, on peut se poser la question : les catholiques, partenaires toujours minoritaires, ont-ils été plus que des « idiots utiles » ? À l’analyse, on s’aperçoit qu’ils ont au contraire su garder leur identité et inventer des formes d’intervention originales avec la population. C’est grâce à des personnalités militantes qui en étaient issues qu’ils ont pu dépasser une mentalité obsidionale et une crispation identitaire pour rencontrer, dialoguer et travailler avec le monde laïque.

Se rencontrer, c’est aussi s’influencer et c’est cette influence réciproque qui a concouru à la laïcisation possible de notre société et à sa faculté actuelle à répondre aux défis du XXIe siècle.

 

François MAGUIN

 

Notes :

[1] Ce mémoire de maîtrise en sciences sociales, soutenu à l’Université de Saint-Étienne en 1984, a été publié : MAGUIN François, Vie associative et animation des équipements sociaux : l’histoire d’un quartier ouvrier de Saint-Étienne, avant-propos de Jacques Ion, Saint-Étienne, Service de la formation continue de l’Université de Saint-Étienne, Documents du Groupe de recherche et d’études sur les pratiques sociales, n°4, 1986.

[2] Sur les opérations immobilières menées par l’office municipal HBM de Saint-Étienne pendant l’entre-deux-guerres : VANT André, « D’une guerre à l’autre (1914-1939) », dans Étienne Fournial (dir.), Saint-Étienne, Histoire de la ville et de ses habitants, Roanne, Horvath, 1976, p. 296-308 ; idem, Imagerie et urbanisation. Recherches sur l’exemple stéphanois, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1981, p. 117-124.

[3] GODIN Henri et DANIEL Yvan, La France, pays de mission ?, Paris, Éditions du Cerf, 1950 (éd. or. 1943).

[4] CELLIER Jean, Le logement à Saint-Étienne, thèse de doctorat de droit, Université de Grenoble, 1949. Le texte cité provient de quelques pages dactylographiées, non paginées, conservées dans les archives du CRÉSAL (déposées aux archives départementales de la Loire, sous la cotation 13 ETP).

[5] VINCENT Pierre, « DUCHESNE Louis » (notice n°1) (notice n°2) ; STEINER Jean-Michel, « PERRICHON Louis », dans Jean Maitron, Claude Pennetier et Paul Boulland (dir.), Dictionnaire Maitron [en ligne]. La notice de François Royet demeure à compléter.

[6] Le père Lhande est également à l’origine d’un ouvrage fondateur, modifiant l’approche ecclésiale des quartiers ouvriers : LHANDE Pierre, Le Christ dans la banlieue. Enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers de la banlieue de Paris, Paris, Plon, 1927.

[7] Document de présentation du projet de construction de l’église Notre Dame de la Paix et création d’un centre social, 1944, archives de la paroisse Notre Dame de la Paix, cité par François Maguin, Vie associative et animation des équipements sociaux…, op. cit.

[8] Action morale, texte anonyme, 1945, conservé dans les archives du Centre social de Solaure (déposées aux archives municipales de Saint-Étienne, sous la cotation 83 S).

[9] Cette liste a été établie à partir des rapports d’activités de l’année 1944, conservés dans les archives du Centre social de Solaure. Une description plus précise des acteurs et des événements est à lire dans : MAGUIN François, « Solaure : Travail, famille, patrie (1942-1946) », in Dominique Dessertine et al. (dir.), Les centres sociaux 1880-1980. Une résolution locale de la question sociale ?, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004, p. 148-156 ; et MAGUIN Paul, Construction et mutations d’un réseau militant – Les Centres sociaux de la Loire 1921-1971, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Collection Université de la Vie Associative, 2009, particulièrement p. 25-51.

[10] Sur l’histoire d’Économie et Humanisme au niveau national : PELLETIER Denis, Économie et Humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le Tiers Monde (1941-1966), Paris, Éditions du Cerf, 1996. Sur son action à Saint-Étienne : ION Jacques, « « Ingénieurs sociaux » et sciences sociales appliquées. Le groupe E.H. de Saint-Étienne de 1944 à 1953 », Économie et Humanisme, n°307, mai-juin 1989, p. 5-19.

[11] ACO : Action catholique ouvrière ; JOC : Jeunesse ouvrière chrétienne ; ACI : Action catholique indépendante.

[12] Discours du président du centre lors de la fête de 1945, archives du Centre social de Solaure.

[13] Discours d’accueil du cardinal Gerlier, 1953, archives de la paroisse Notre Dame de la Paix, cité par François Maguin, Vie associative et animation des équipements sociaux…, op. cit.

[14] Lire à ce sujet : MANDON Daniel, Les barbelés de la culture. Saint-Étienne ville ouvrière, Lyon, Federop, 1976, p. 307-316.

[15] Ainsi que l’ont montré les travaux de Jacques Ion. Cf. notamment ION Jacques, MIÈGE Bernard, ROUX Alain-Noël, L’appareil d’action culturelle, Paris, Éditions universitaires, 1974, notamment p. 149-160.

[16] Comme l’a analysé Jeannine Verdès-Leroux dans Le travail Social, Paris, Éditions de Minuit, 1978.

[17] Sur la grève des mineurs de 1963 : BEDOIN Maurice et STEINER Jean-Michel, « La grève de 1963, dernier mouvement généralisé des mineurs », L’Émission mensuelle du GREMMOS, Radio DIO, 21 février 2013, et BEDOIN Maurice, « La Mission ouvrière en région stéphanoise : l’articulation du religieux et du politique durant l’année 1963 », dans GREMMOS (éd.), Monde ouvrier et religions. Actes des 5es Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne, 19 janvier 2018, Saint-Étienne, GREMMOS, 2022.

[18] Sur le rôle des comités de quartier dans l’histoire stéphanoise, cf. les travaux menés dans le cadre du CRÉSAL : ION Jacques, MICOUD André, NIZEY Jean, Associations résidentielles et institution municipale. Le cas de Saint-Étienne, rapport pour la Direction de la Construction, Ministère de l’Environnement, CRÉSAL, 1979.

[19] En plus du témoignage de l’auteur, cf. « La MJ de Solaure, La Camargue et les flics culturels », La Tribune–Le Progrès (édition de Saint-Étienne), 10 juillet 1973.

[20] L’ensemble de cette partie est à la fois un témoignage et une analyse personnelle, puisque j’étais directeur du centre durant cette période.

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