Les grèves du Chambon : Introduction, I. Les syndicats du Chambon

BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE SOCIAL

LES

GRÈVES DU CHAMBON

PAR

LÉON de SEILHAC

Délégué permanent du Musée Social

au Service Industriel et Ouvrier

PARIS

LIBRAIRIE ARTHUR ROUSSEAU

ÉDITEUR

14, RUE SOUFFLOT, 14

1912

 

Léon de Seilhac, Les grèves du Chambon, Paris, Librairie Arthur Rousseau, coll. Bibliothèque du Musée social, 1912.

 

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LES GRÈVES DU CHAMBON

INTRODUCTION

I. — LES SYNDICATS DU CHAMBON

Le Chambon-Feugerolles a été jusqu’ici un terrain extrêmement favorable aux grèves. La grève y a régné à l’état endémique. C’était une coutume. Aussi les ouvriers, ceux du moins qui pensent à leur situation présente au lieu de rêver à l’organisation future d’une société idéale, refusaient-ils de venir s’embaucher au Chambon. Certains patrons ont déménagé et quitté ce pays, où il y avait trop d’orages, de risques de grèves et de chances d’émeutes. Ce n’est pas que les habitants y fussent particulièrement excités et

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violents. Individuellement, ce sont les gens les plus doux du monde. Mais ils se trouvent, par malheur, sur la grande route de l’émeute, qui est en même temps la route ayant le plus fort trafic de France. Cette route qui va de St-Étienne à Firminy passe par la Ricamarie et le Chambon, et les distances sont courtes sur cette grande voie où pullulent les puits de mines et les grandes usines métallurgiques. Si une grève éclatait à Firminy, c’était immédiatement l’exode vers St-Étienne, la démonstration bruyante de la force ouvrière devant les autorités du département[1], et sur la route, la manifestation faisait fermer toutes les usines, vidait les puits de mines et se grossissait de tous les ouvriers arrachés à leur travail. C’est sur cette route, en 1902, qu’à la suite de la grève des mines, M. Briand entraîna une bruyante manifestation de 20.000 ouvriers, partant de St-Étienne, passant par Roche-la-Molière, le Chambon, arrivant jusqu’à Firminy

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et revenant à St-Étienne après avoir égrené un grand nombre de manifestants. M. Briand paraissait exténué de fatigue. Il expliqua qu’il avait imposé cette longue marche aux grévistes pour épuiser leurs forces et les détourner des actes violents auxquels ils paraissaient préparés. Tous les désordres consistèrent en quelques carreaux brisés aux usines trop proches de l’itinéraire du cortège, quelques consommations prises sans payer, dans les cafés imprudemment restés ouverts, et quelques gourdes remplies aux frais des débitants.

***

Cette grève des mineurs de 1902 fut le préambule d’un certain nombre de mouvements grévistes dans la région. Elle aboutit à un accord qui fut observé jusqu’en 1910, époque où il fut renouvelé, sans grève nouvelle.

En 1904, il y eut une grève d’ouvriers de limes et outils, à l’usine de Trablaine, au sujet de l’application d’un tarif de 1901, sur l’interprétation duquel patron et ouvriers se trouvaient en désaccord.

Des arbitres furent choisis : MM. Briat, membre du conseil supérieur du travail, et Craponne,

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président du syndicat ouvrier, pour les ouvriers ; et MM. Paulet et Chanteur, industriels du Chambon, pour les patrons.

Les ouvriers eurent quelque peine à accepter la sentence arbitrale, ils ne s’y soumirent qu’en rechignant. Elle devint pourtant la loi des parties jusqu’à la grève de 1910.

En 1904, éclate une grève dans une autre corporation, celle des ouvriers serruriers de Firminy et du Chambon. C’était au plus 50 grévistes. Ils réclamaient, avec raison, la suppression de la retenue sur les salaires pour le paiement des accidents du travail. Ils réclamaient, en outre, la réduction des heures de travail à dix, la fixation d’indemnités de déplacement pour les travaux faits en dehors de Firminy. Ils obtinrent satisfaction sur tous ces points et ils remercièrent vivement le juge de paix, M. Pingeon, qui avait présidé la séance de conciliation.

Cette grève, peu importante par le nombre de ceux qui y prirent part, ne fut pas plus importante par sa durée. Commencée le 20 juin, elle était terminée le 29.

En 1905, nouvelle petite grève, qui dure du 25 avril au 27 mai, grève de boulonniers, qui éclate à l’usine Martouret, chez le patron qui plus

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tard désertera le Chambon, fermera son usine et déclarera hautement qu’au Chambon il n’y a pas d’industrie possible, grâce à la tyrannie du syndicat.

Il s’agissait du renvoi d’un ouvrier, dont les grévistes réclamaient la réintégration. Il y eut de longues hésitations avant de pouvoir constituer un comité de conciliation, car l’arbitrage Briat—Chanteur avait indisposé les ouvriers contre tout nouvel essai d’arbitrage.

La grève se termina, bien que M. Martouret se refusât absolument à réintégrer l’ouvrier renvoyé. Ce renvoi avait eu, en effet, pour cause des malfaçons. Mais lorsque la délégation ouvrière se présenta devant M. Martouret et fit appel à sa générosité. « Ceci est une autre affaire, répondit M. Martouret. Je ne me refuse nullement à donner à l’ouvrier renvoyé une indemnité, qui lui permettra d’attendre, pendant qu’il cherchera une autre place. Si vous vous adressez à ma bonne volonté ce n’est plus une question d’arbitrage, et je suis prêt à répondre à votre appel. »

Deux autres réclamations avaient été ajoutées à la première : l’une concernant l’organisation du travail des cisailles, l’autre l’amélioration, pour le taraudage des boulons, de l’eau de savon,

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dont la trop grande acidité peut avoir une action corrosive sur les mains. Ces réclamations furent acceptées par M. Martouret.

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Enfin arrive une date mémorable, date indiquée dans tous les centres industriels comme celle de la libération complète du prolétariat. C’est le 1er mai 1906.

Nous connaissons des usines métallurgiques, en Meurthe-et-Moselle, où cette date était si bien fixée dans l’esprit des ouvriers, comme celle de la régénération sociale et de la reprise des instruments de travail, que sur tous les murs on lisait : « Encore tant de jours, et nous serons libres », comme les soldats écrivent sur les murs des casernes : « Encore tant de jours et la fuite ».

Cette date était fatale. Elle marqua l’échec complet des espoirs révolutionnaires.

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À cette époque éclata donc, à Firminy, une grève des Aciéries, qui comptent environ 3.000 ouvriers. Les ouvriers des Aciéries continuèrent à employer la méthode de leurs devanciers, ils recommencèrent à faire des incursions sur les

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territoires voisins et prirent la grande route qui mène à St-Étienne. La première étape était le Chambon. Le Chambon fut révolutionné en premier lieu.

Les ouvriers de la grande usine Claudinon (grosse métallurgie) durent déserter le travail, de même que les ouvriers boulonniers, et aussi, et surtout les ouvriers limiers, dont le syndicat était extrêmement puissant, pour les raisons que voici :

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Le Chambon a trois industries différentes :

La grosse métallurgie, représentée par les usines de MM. Claudinon et Crozet-Fourneyron, dont le mandataire est M. Chanteur, homme de grand bon sens, fort estimé des ouvriers.

M. Claudinon est lui-même un patron dont les ouvriers prétendent n’avoir jamais eu à se plaindre. À vingt-deux ans, décoré sur le champ de bataille, depuis député du Chambon, il est aimé de son personnel, de l’avis unanime de toutes les personnes que nous avons consultées et qui professaient souvent des idées bien opposées à celles de M. Claudinon.

La boulonnerie est représentée par un certain nombre de maisons, dont l’une des plus importantes

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est celle de MM. Besson[2]. Le matériel de cette grande maison est extrêmement perfectionné.

Enfin la fabrique de limes comprend les établissements les plus divers et les plus dissemblables. — Il y a des ouvriers-patrons travaillant avec trois ouvriers, il y a de grandes maisons, et encore des commerçants, exerçant comme métier-annexe le métier de fabricants de limes. Ce sont parfois des coiffeurs. Ils font forger la lime par des spécialistes, ils la font meuler par d’autres spécialistes. Ils se chargent de la trempe. Et ils vendent les produits exécutés aux grands quincailliers de St-Étienne.

On comprend facilement que les ouvriers, répartis par deux, ou par trois, ou par dix, dans des maisons peu importantes, jouissent d’une liberté presque absolue et traitent de pair à compagnon avec leurs patrons. Ils sont facilement recrutés par le syndicat, car aucune force patronale ne s’oppose à leur affiliation, et même l’on trouvera un certain nombre de patrons limiers, chantant les louanges de l’organisation syndicale ouvrière, qui a groupé les intérêts de ces 1.400 ou 1.500 ouvriers

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en limes répartis dans un si grand nombre de petits établissements.

Si l’on additionne à ceux du Chambon les ouvriers boulonniers de la Ricamarie, on trouve que le chiffre total est de 1.000 ouvriers.

Celui des limiers est de 1.400 ou 1.500.

Celui des ouvriers des industries diverses de 1.000.

Et celui des ouvriers de la grosse métallurgie de 1.000.

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Ceci dit, revenons à la grève du 1er mai 1906.

Un syndicat de la métallurgie était établi fort solidement à Firminy et avait réussi à constituer une filiale au Chambon, pour les ouvriers en limes. Surveillés et retenus par leurs patrons, qui trouvaient le syndicat de Firminy purement anarchiste, les autres ouvriers étaient restés à l’écart. Mais les ouvriers de la grosse métallurgie, à l’usine Claudinon, étaient débauchés deux fois par jour, le matin à la rentrée de 6 h. 1/4, et l’après-midi à la rentrée de 1 heure 1/2, par les manifestants de Firminy. N’y avait-il pas moyen de mettre fin à ces manœuvres ? C’était l’époque des élections législatives, et M. Claudinon qui se trouvait, en même temps qu’industriel,

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maire et député sortant du Chambon, aurait bien voulu éviter les mesures de répression, tout en sauvegardant la liberté de son personnel, qui lui avait manifesté fréquemment sa fidélité. Mais le préfet ne l’entendit pas de cette façon, il remplit le village de dragons et leur fit exécuter toute une série de manœuvres militaires. — Il aurait voulu ruiner la candidature de M. Claudinon, qu’il ne s’y fût pas pris autrement. Et, par le fait, il réussit à faire échouer cette candidature, que l’on s’accordait à reconnaître comme présentant toutes les chances de succès.

Cependant cette grève des métallurgistes de Firminy se termina par le plus piteux échec. L’organisation syndicale ne survécut pas à cette débâcle. — Il y eut 150 renvois de l’usine.

Au contraire, la filiale du Chambon, qui était presque uniquement composée des ouvriers en limes, prit une extension énorme.

Voici comment. Ce syndicat avait fait déclarer une grève de solidarité des ouvriers en limes. Et il se trouvait qu’au moment même, où cette grève de solidarité fut déclarée, la construction des automobiles était dans son plein essor et réclamait des quantités de limes et d’instruments d’ajustage fabriqués par les limiers du Chambon.

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Les patrons du Chambon se trouvaient donc, pour ces spécialités, submergés sous le nombre des commandes et n’avaient rien à refuser à leurs ouvriers en grève. Tout ce que ceux-ci réclamèrent de leurs patrons, ils l’obtinrent. On ne discuta même pas. — Les salaires furent, d’un coup, élevés de 30 p. 100.

C’est cette facile victoire qui détermina les conflits dont nous allons nous occuper. — Dorénavant, le syndicat fut considéré comme tout puissant et capable d’obtenir, quand il le voudrait, une augmentation de salaires pour tous les ouvriers de la métallurgie et de régler toutes les questions litigieuses pouvant s’élever entre le patronat et les ouvriers, à l’avantage de ceux-ci.

Cette remarque nous expliquera les deux grèves dont nous nous proposons de faire l’historique.

***

La première éclate parce qu’un patron renvoie un ouvrier. — Un conflit de solidarité s’élève. Le patron, très peu désireux de voir éclater la grève, croit l’éviter en reprenant l’ouvrier. — « Cela ne suffit pas, lui crie-t-on, il faut l’écrire au syndicat. » Oui, il faut qu’il fasse amende

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honorable au syndicat, qu’il s’excuse et qu’il promette de ne plus recommencer sans en avoir référé à l’organisation ouvrière. Le syndicat demande à être reconnu et à devenir l’intermédiaire obligatoire pour la solution des difficultés qui peuvent s’élever dans l’usine.

La seconde grève éclate pour un tarif nouveau affiché dans un atelier. Le patron, M. Mermier, a plusieurs usines et, spécialement, une usine à St-Étienne et une autre au Chambon. Dans cette dernière, il se trouve que les salaires sont supérieurs, de 30 p. 100 environ, aux salaires payés à St-Étienne, c’est-à-dire 6 kilomètres plus loin. Il met ses prix en concordance dans l’usine où il paie le plus cher, c’est-à-dire qu’il diminue ses salaires de 30 p. 100. Peut-être fait-il ce changement sans préambule oratoire et sans avertir ses ouvriers : ce qui est une faute ; mais, sur les réclamations de ses ouvriers, il reconnaît cette faute, il discute avec eux, il tombe d’accord avec eux et ne diminue plus ses tarifs que de 5 p. 100.

Tout va s’arranger, tout est arrangé ? Nullement. On exige que le nouveau tarif soit légitimé par les signatures des dirigeants de l’organisation syndicale et par la signature du patron.

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Celui-ci s’y refuse. Il veut bien signer le tarif qui sera affiché dans l’usine et qui fera la loi des parties ; mais il ne peut pas comprendre la nécessité qu’on lui impose de faire signer ce même tarif par les représentants du syndicat. Ceux-ci s’entêtent dans leurs réclamations, le patron s’obstine dans son refus. — C’est la grève.

Que réclament les ouvriers ? Rien, — Le tarif nouveau leur donne satisfaction. — Mais il n’est pas contresigné par le syndicat. Le syndicat ne peut pas montrer sa nécessité et faire preuve de son influence. La grève éclate pour une pure formalité.

La reconnaissance du syndicat.

La reconnaissance du syndicat, tout est là. Nous n’avons jamais pensé, disent les patrons, à ne pas reconnaître un syndicat qui existe réellement, à nier son existence. Ce serait nier l’existence du soleil !

Mais ce n’est pas cela que les ouvriers comprennent par « reconnaissance du syndicat » !

Ils entendent par là que le syndicat doit être l’intermédiaire obligatoire, dans tous les rapports qui se produiront entre un patron ou une catégorie

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de patrons et les ouvriers qu’ils emploient. Un ouvrier ne peut être renvoyé sans que le syndicat soit appelé à examiner si les raisons de ce renvoi sont justifiées. Et il sera seul juge de cette appréciation. Si un contremaître est mal vu du syndicat et accusé par lui de trop grande sévérité, le patron devra le sacrifier. S’il veut éviter une grève, il se séparera d’un collaborateur qu’il jugeait utile et auquel il n’avait aucun reproche à faire. Avec la reconnaissance du syndicat, il se trouve deux chefs dans l’usine, deux chefs ennemis, ayant des intérêts différents et des conceptions opposées. Quel travail utile peut-on réaliser avec cette hostilité ?

Voilà ce que ne veulent pas accepter les patrons, qui ont la responsabilité de la marche de l’entreprise, et qui ne désirent pas la compromettre par une collaboration impossible avec une autorité hostile.

***

Le Stéphanois (du 6 août 1911) a publié l’interview d’un patron, qui résume l’opinion patronale. Nous donnons ici cette interview :

Demander pourquoi les patrons boulonniers ne

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veulent pas entrer en conversation ni discuter avec une délégation syndicale, c’est demander pourquoi les patrons ne veulent pas reconnaître le syndicat.

Or, le syndicat de la Vernicherie[3] ne veut pas obtenir une simple satisfaction d’amour-propre, en demandant à être reconnu officiellement ; ce qu’il veut, c’est devenir et être reconnu l’arbitre entre les patrons et leurs ouvriers, s’ingérer dans des questions de direction, de discipline intérieure, d’organisation, qui sont uniquement du domaine patronal. Céder peu ou beaucoup, devant les exigences du syndicat, c’est lui reconnaître une autorité qu’il ne saurait avoir, car il ne représente qu’une minorité, et c’est mettre le sort de l’industrie de la boulonnerie entre ses mains. Qu’en adviendrait-il ? L’exemple de l’industrie de la lime, qui périclite sans cesse, depuis qu’en 1889 les patrons limiers ont traité avec le syndicat, est là pour le montrer. Ce n’est pas rassurant.

D’ailleurs, les raisons sont multiples qui font une obligation aux patrons boulonniers de ne pas discuter avec le syndicat. En voici quelques-unes :

En discutant et traitant avec un syndicat, les patrons et le syndicat prennent des engagements réciproques, et l’intervention du syndicat ne peut être utile qu’autant que ces engagements seront respectés. Autrement, à quoi bon signer des conventions si elles doivent rester lettre morte ?

Il n’est pas douteux que les patrons, du fait de leur situation, offrent des garanties morales et matérielles

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à tous ceux avec qui ils prennent des engagements. Le syndicat peut-il donner les mêmes garanties ? Non, car il n’a aucune responsabilité, ne possédant ni la capacité civile et commerciale, ni la faculté de posséder. Il est dirigé par des personnes irresponsables, souvent peu honorables, qui, ne respectant pas leurs engagements personnels, sont bien mal qualifiées pour en prendre au nom d’un syndicat.

Au surplus, tout récemment, un jugement du tribunal civil de Saint-Étienne vient de proclamer publiquement l’irresponsabilité du syndicat de la Vernicherie en ce qui concerne les déprédations faites, durant la dernière grève de 1910, par ses membres groupés autour du drapeau syndical.

Le réquisitoire du procureur de la République constate bien cependant que le syndicat avait commis les fautes les plus lourdes, les plus inexcusables, presque dolosives culpa lata casi dolo proxima, suivant sa propre expression, mais malgré cela, il conclut à son irresponsabilité.

L’irresponsabilité du syndicat ainsi affirmée, on conçoit aisément que les patrons hésitent et même refusent de lier conversation avec lui.

D’ailleurs, en toute équité, les patrons ne peuvent discuter avec un syndicat qui ne groupe qu’une minorité de leurs ouvriers. Il est vrai que cette minorité est composée d’éléments violents et révolutionnaires qui, bien groupés, vraiment disciplinés et obéissants, sans réticence aux moindres volontés des chefs syndicalistes, est capable de s’imposer par la violence et la terreur.

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Mais ce n’est pas une raison pour que les patrons discutent avec des représentants de cette minorité. Il est même de leur devoir de tenir compte de tous les autres ouvriers syndiqués, qui constituent la masse de leurs personnels.

En traitant avec le syndicat, les patrons commettraient un véritable déni de justice envers la majorité de leurs ouvriers.

Au Chambon, il y a deux syndicats, l’un rouge, l’autre indépendant ; en outre, il y a environ la moitié des ouvriers non syndiqués. Avec qui les patrons doivent-ils traiter ?

Que s’est-il passé au moment de la reprise du travail ?

Les membres du syndicat indépendant et des « sauvages » ont pris l’initiative de la reprise du travail, en provoquant la rentrée à l’usine Mermier, dont la mise à l’index était la cause du lock-out. La rentrée s’est ainsi faite, mais sans que les patrons aient discuté quoi que ce soit avec les ouvriers qui sont venus les informer que la reprise du travail aurait lieu à l’usine Mermier. Pourquoi donc discuteraient-ils maintenant avec le syndicat rouge ? Tous doivent être traités de même façon, et, comme il n’est pas possible de discuter les mêmes questions avec les délégués de trois groupements différents, une solution s’impose : ne discuter avec aucun.

En outre, en acceptant l’intervention du syndicat dans les rapports entre eux et leurs ouvriers, les patrons boulonniers accepteraient, par le même fait, de discuter les questions professionnelles ou celles de

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discipline intérieure avec des ouvriers pris en dehors de leurs usines respectives. Ce n’est pas admissible. Ceci est évident pour les questions de discipline intérieure. Quant aux questions professionnelles, un patron ne peut les discuter utilement qu’avec le personnel directement intéressé, qui seul connaît les conditions du travail dans l’usine, conditions variables d’une usine à l’autre et même dans une usine donnée, suivant les améliorations, soit de l’outillage, soit de l’organisation et de la répartition du travail.

L’examen des questions professionnelles ne peut d’ailleurs se faire utilement avec un syndicat, dont le grand principe est « maximum de salaire et minimum de production ». Un tel principe mis en pratique empêcherait toute amélioration de l’outillage, serait la négation de tout progrès, progrès indispensable pour qu’une industrie puisse vivre et prospérer.

Enfin, tous les gens honnêtes et sensés reconnaîtront volontiers que les patrons boulonniers ne peuvent se commettre à discuter avec un syndicat révolutionnaire, comme l’est le syndicat de la Vernicherie. Les événements de l’an dernier, ceux actuels prouvent surabondamment que le syndicat rouge est aux mains d’anarchistes, qui pour appuyer leurs revendications, ne savent pas employer d’autres arguments que le sabotage, le feu, le revolver, les bombes. D’ailleurs, Malot, secrétaire de la Bourse du travail et orateur écouté à la Vernicherie, a eu le triste courage d’affirmer les menées révolutionnaires du syndicat dans un article paru dans la Tribune, du 26 février 1910, et où il disait :

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« Comment ne pas reconnaître dans le mouvement chambonnaire actuel quelque chose de plus grand qu’un simple mouvement revendicatif ; c’est en effet la marche des exploités vers un but noble entre tous : la Révolution. »

Après Tyr, Malot affirme que la lutte des classes et la préparation de la Révolution sont la raison d’être du syndicat.

Quels sont les honnêtes gens qui, après les attentats de ces derniers jours, voudraient avoir la moindre relation avec le syndicat de la Vernicherie ?

 

Suite de l’ouvrage (partie II.)

Retour à la présentation

 

[1] Ce trop proche voisinage a les résultats les plus curieux au cas de déprédations commises par les grévistes. Qui est responsable ? La commune où sont domiciliés les auteurs du dégâts. Voir Annexe II le très curieux procès sur la responsabilité des désastres causés par les grévistes. Ce procès a d’ailleurs des conséquences bien intéressantes, puisque l’on y voit la commune de Chambon poursuivre en responsabilité le Syndicat ouvrier.

[2] La raison sociale de la maison dirigée avec la plus grande intelligence par MM. Besson frères et M. Touchard, leur ingénieur en chef, est « Palle-Bertrand ».

[3] C’est le nom du syndicat du Chambon.

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